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« Pourquoi, se disait-elle, ressentirais-je si profondément qu’un autre me reproche ce dont je n’ai jamais cessé de rougir moi-même ? et pourquoi cette femme, qui recueille, ou du moins qui a recueilli les fruits de ma folie et a repoussé mon fils du trône ; pourquoi ose-t-elle, à la face de tous mes domestiques et des siens, me reprocher ma honte et ma folie ? N’est-elle pas en mon pouvoir ? ne me craint-elle pas ? Allons, vil tentateur, je lutterai contre toi, et je me servirai d’armes supérieures à celles que peut me fournir mon pauvre cœur tout rempli d’iniquités. »

Elle reprit le volume et cherchait à fixer son attention sur les pages sacrées, quand elle fut interrompue par un coup frappé à la porte de son appartement. On ouvrit à son ordre, et l’intendant Dryfesdale entra. Il se plaça devant elle, le front couvert d’une expression sombre et inquiète.

— Qu’est-il donc arrivé, Dryfesdale, pour que tu me regardes ainsi ? dit sa maîtresse. As-tu reçu quelques mauvaises nouvelles de mon fils ou de mes petits-fils ?

— Non, lady, reprit Dryfesdale ; mais vous avez été cruellement insultée la nuit dernière, et je crains que vous ne soyez aussi cruellement vengée ce matin… Où est le chapelain ?

— Que signifient ces avis obscurs et cette question subite ? Le chapelain, ainsi que vous le savez, est allé à Perth pour assister à une assemblée des frères.

— Peu m’importe, au fond, ce n’est qu’un prêtre de Baal.

— Dryfesdale, » dit la dame d’un ton sévère, « j’avais déjà appris que dans les Pays-Bas tu as suivi les prédicateurs anabaptistes, ces sangliers qui arrachent la vigne du Seigneur. Mais la religion que je professe, ainsi que ma famille, doit convenir à mes serviteurs.

— Je voudrais bien avoir quelque pieux et bon conseiller, » reprit l’intendant sans écouter le reproche de sa maîtresse et semblant se parler à lui-même : « cette femme de Moab…

— Parlez d’elle avec respect, elle est fille d’un roi.

— Ainsi soit-il ! reprit Dryfesdale ; elle va dans un lieu où il y aura peu de différence entre elle et la fille d’un mendiant… Marie d’Écosse se meurt.

— Se meurt, et dans mon château ! » dit la dame en se levant avec effroi ; « de quelle maladie ou par quel accident ?

— Patience, milady, la chose vient de ma part.

— De ta part, traître, scélérat ! comment as-tu osé ?…