Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/17

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celles d’un véritable loup[1], il suivit le domestique hors de la chambre.

« C’est singulier, dit la dame à Warden ; non seulement cet animal est d’un naturel très-doux, mais encore il aime beaucoup les enfants : qui peut donc l’exciter ainsi contre celui-ci, dont il vient de sauver les jours ?

— Les chiens, répondit le ministre, ne ressemblent que trop à la race humaine dans ses faiblesses, quoique leur instinct soit moins trompeur que la raison de l’homme, quand il a l’orgueil de se lier à ses seules lumières. La jalousie n’est pas une passion qui leur soit inconnue ; ils en donnent souvent des preuves, non seulement à l’occasion des caresses que leurs maîtres font à des individus de leur espèce, mais même quand ils ont des enfants pour rivaux. Vous avez caressé cet enfant avec beaucoup de tendresse, et le chien se considère comme un favori disgracié.

— Étrange instinct ! dit la dame ; d’après la gravité avec laquelle vous parlez de la jalousie de Wolf, on pourrait croire qu’elle vous paraît justifiable, et même bien fondée. Mais peut-être n’avez-vous voulu faire qu’une plaisanterie ?

— Je plaisante rarement, répondit le ministre ; la vie ne nous a pas été donnée pour en perdre les courts moments à des plaisanteries oiseuses qui ressemblent au craquement du bois dans le foyer ; je voudrais seulement que vous tirassiez de là cette leçon : nos sentiments les plus louables quand nous nous y livrons sans réserve peuvent devenir une source de chagrins pour ceux qui nous entourent. Il n’y a qu’un amour auquel nous puissions nous abandonner de toutes les forces de notre âme, sûrs de rester encore bien au-dessous de l’objet qui nous l’inspire, je veux dire l’amour de notre créateur.

— À coup sûr, objecta lady Avenel, la même autorité nous commande aussi d’aimer notre prochain.

— Oui, madame, répondit Warden ; mais notre amour pour Dieu doit être illimité ; nous devons l’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces. Le précepte a au contraire limité, en le qualifiant, l’amour que nous devons porter à notre prochain ; nous devons l’aimer comme nous-mêmes ; et, comme il est dit ailleurs, nous devons agir envers lui comme nous voudrions qu’il agît à notre égard. Il doit donc y avoir une limite et

  1. Wolf, en anglais, comme dans la plupart des langues du Nord, signifie un loup. a. m.