Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/141

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frères !… Montons au dortoir… Et vous, dame Græme, je vous l’ordonne par l’autorité que j’ai sur vous et au nom de la sûreté de ce jeune homme, suivez-nous sans ajouter un mot. Mais un instant… que voulez-vous faire à ce jeune homme que vous retenez prisonnier ?… Ne voyez-vous pas, » continua-t-il en s’adressant d’un ton sévère à Howleglas, « qu’il porte la livrée de la maison d’Avenel ? Ceux qui ne craignent point le courroux du ciel peuvent du moins redouter la colère des hommes.

— Ne vous inquiétez pas de ce qui le touche, répondit Howleglas ; nous savons fort bien qui il est et ce qu’il est.

— Je vous en conjure, ajouta l’abbé d’une voix suppliante, « ne lui faites aucun mal pour l’acte de violence qu’il a failli accomplir dans son zèle imprudent.

— Je vous l’ai déjà dit, ne vous en inquiétez pas, père, répondit Howleglas ; mais décampez avec toute votre suite, hommes et femmes, sinon je ne me charge pas d’épargner un plongeon à cette sainte… Quant à la rancune, il n’y a point place pour elle dans mon ventre : il est, » ajouta-t-il en tapant sur son énorme bedaine, « trop bien bourré de paille et de bougran… et je l’en remercie… il m’a garanti du poignard de ce jeune fou, aussi bien qu’eut pu le faire une cotte de mailles de Milan. »

En effet, le poignard bien dirigé de Roland Græme avait pénétré dans l’intérieur du ventre postiche que portait l’abbé de la Déraison, comme partie essentielle du costume de son rôle ; et c’était seulement la force du coup qui avait renversé à terre, pour un moment, le révérend personnage.

Rassuré jusqu’à un certain point par les protestations du chef, et contraint de céder à une force majeure, l’abbé Ambroise sortit de l’Église à la tête de ses moines, et laissa le champ libre aux perturbateurs. Mais, quels que fussent la grossièreté et l’entêtement des tapageurs, ils n’accompagnèrent les religieux d’aucun de ces cris de mépris et de dérision dont ils les avaient d’abord accablés. Le discours de l’abbé avait soulevé des remords chez les uns, de la honte chez les autres, chez tous quelque peu de respect. Ils gardèrent le silence jusqu’à ce que le dernier des moines eût disparu sous la porte latérale qui communiquait avec l’intérieur de l’abbaye, et alors même il fallut quelques exhortations de la part de Howleglas, quelques cabrioles du cheval de bois, quelques sauts du dragon pour remettre la troupe en gaieté,

« Eh bien ! quoi ? camarades, dit l’abbé de la Déraison ; pour-