Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/133

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furent tour à tour forcés de faire place à ces joyeux personnages qu’on appelait le pape des Fous, l’enfant Évêque, et l’abbé de la Déraison.

C’était ce dernier personnage qui s’avançait alors en grand costume, vers la porte principale de l’église de Sainte-Marie, vêtu de manière à faire une caricature, ou une parodie en action, du costume et de la suite du véritable supérieur, qu’il venait braver le jour même de son installation, en présence de son clergé et au milieu de son église. Le faux dignitaire était un gaillard vigoureux, de moyenne taille, dont les formes rondes et ramassées étaient devenues grotesques par un gros ventre postiche. Il portait une mitre de cuir ressemblant à un bonnet de grenadier, dont le devant était orné de fausses broderies et de colifichet d’étain. Cette mitre protégeait un visage dont le nez se faisait surtout remarquer, car il était d’une longueur extraordinaire, et pour le moins tout aussi richement enjolivé que la coiffure. Sa robe était de bougran, et sa chape en canevas peint de mille couleurs et artistement découpé. Sur une de ses épaules était représenté un hibou. Il tenait d’une main son bâton pastoral, et de l’autre un petit miroir à manche, ressemblant ainsi à ce fameux bouffon allemand[1] dont les aventures, traduites en anglais, furent si populaires, et qu’on peut encore se procurer, imprimées en caractères gothiques, à raison d’une livre sterling la feuille.

Les gens de la suite du faux dignitaire avaient des accoutrements analogues, parodiant par une burlesque ressemblance les moines et autres dignitaires de l’abbaye, comme leur chef parodiait le supérieur. Ils marchaient sur deux rangs derrière ce chef, et toute la foule, qui avait fait une halte pour attendre son arrivée, se précipita dès-lors à la suite dans l’église, tous criant à mesure qu’ils entraient : « Place, place au vénérable père Howleglas ! au docte moine de la Confusion ! place aux très-révérend abbé de la Déraison. »

La discordante musique recommença sur tous les tons ; les enfants criaient et hurlaient, les hommes riaient et chantaient, les femmes glapissaient et gémissaient, les bêtes rugissaient, le dragon s’agitait et sifflait, le cheval de bois hennissait, se cabrait et caracolait ; et tous sautaient et dansaient, frappant de leurs souliers

  1. Uylen spiegel, nom hollandais qui, étant décomposé, signifie, comme Howleglas en anglais, miroir de hibou.