Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était changé. Au milieu des ruines et de la désolation, sept ou huit vieillards, courbés et accablés autant par le malheur et la crainte que par l’âge, s’étant revêtus à la hâte de l’habit de leur ordre, s’avançaient, comme une procession de fantômes, de la porte qui venait de s’ouvrir jusqu’au maître-autel, pour installer leur nouvel élu comme maître de ces ruines et de ces décombres. On eût dit une troupe de voyageurs égarés choisissant un chef dans les déserts de l’Arabie, ou un équipage naufragé nommant un capitaine dans l’île déserte où le sort l’a jeté.

Ceux qui, dans les temps de tranquillité, se montrent les plus avides de commander aux autres, souvent renoncent à leurs prétentions, dans ces jours de crise, quand le rang ne donne ni avantage ni honneurs, mais assure seulement une plus grande part de périls et de fatigues, et expose le malheureux chef aux murmures de ses compagnons mécontents, comme aux premières attaques de l’ennemi commun. Mais l’homme à qui l’on venait de conférer le titre d’abbé de Sainte-Marie avait l’âme faite pour le rang où il était appelé. Hardi et enthousiaste, mais généreux et clément ; sage et habile, mais prompt et zélé, avec une meilleure cause que la défense d’une superstition qui s’écroulait, il se fût élevé infailliblement au rang des grands hommes. Mais comme la fin couronne l’œuvre, il faut aussi juger l’œuvre par la fin ; et ceux qui, avec sincérité et générosité, combattent et succombent pour une mauvaise cause, la postérité ne peut que les plaindre, comme victimes d’une généreuse mais funeste erreur. Dans ce nombre, nous rangerons Ambroise, dernier abbé de Kennaquhair, dont les projets sont condamnables puisqu’ils eussent rejeté l’Écosse dans les chaînes de l’antique superstition et de la tyrannie spirituelle, mais dont les talents commandaient le respect, et dont les vertus commandaient l’estime des ennemis même de la foi.

La contenance du nouvel abbé suffit pour donner de la dignité à une cérémonie qui manquait de toute espèce de pompe. Connaissant les dangers au milieu desquels ils vivaient, et se rappelant sans doute de meilleurs jours, les moines semblaient accablés d’une terreur mêlée d’affliction et de honte, qui les portait à précipiter l’office qu’ils célébraient, comme s’il eût pu les exposer à quelque nouvelle humiliation, à quelque nouveau danger.

Il n’en était point ainsi du père Ambroise : ses traits, à la vérité, portaient l’empreinte d’une profonde mélancolie, tandis qu’il s’avançait à travers les débris d’objets sacrés pour lui ; mais son front