Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 14, 1838.djvu/121

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limites des domaines de Sainte-Marie, sur cette éminence d’où l’œil du pèlerin pouvait apercevoir cet antique monastère, la lumière de l’Écosse, la demeure des saints et le tombeau des monarques, ici s’élevait la croix. Où est maintenant ce symbole de notre foi ? Il est gisant sur la terre, brisé, et ses fragments ont été emportés pour servir à d’indignes usages ; il ne reste plus vestige de sa première forme. Regarde vers l’est, mon fils, où le soleil brillait naguère sur de superbes clochers d’où les croix et les cloches ont été précipitées, comme si le pays avait été encore envahi par les païens ; regarde ces murailles qu’on voit d’ici même à demi détruites, et demande ensuite si ce pays peut attendre des bienheureux saints, dont les reliques et les images ont été profanées, d’autres miracles que ceux de la vengeance ? Combien de temps, » s’écria-t-elle en levant les yeux au ciel, « combien de temps sera-t-elle différée ? » Elle se tut un moment, puis reprenant avec vivacité et enthousiasme : « Oui, mon fils, tout est passager sur cette terre ; la joie et le chagrin, le triomphe et la désolation se succèdent ici-bas, comme les nuages et le soleil ; la vigne ne sera pas toujours foulée aux pieds ; le scion sera amélioré ; les branches fertiles se relèveront et se couvriront de fruits. Aujourd’hui même, dans un instant, j’espère apprendre des nouvelles importantes. Marchons donc, sans retard : le temps est court, le jugement est certain. »

Elle reprit la route qui conduisait à l’abbaye, route autrefois indiquée soigneusement par des poteaux et des barrières pour aider le pèlerin dans son voyage. Tout cela était arraché et détruit. Après une demi-heure de marche, ils se trouvèrent en face du magnifique monastère qui n’avait point échappé à la fureur du temps, quoique l’église fût encore entière. La longue file de cellules et d’appartements à l’usage des moines, qui occupaient les deux côtés de la vaste cour, était presque entièrement ruinée ; l’intérieur de l’édifice avait été consumé par le feu, auquel la massive architecture des murs extérieurs avait seule pu résister. Les appartements de l’abbé, qui formaient le troisième côté de la cour, avaient été respectés, et servaient d’asile au petit nombre de frères qu’on laissait encore à Kennaquhair plutôt par tolérance que par permission expresse. Leurs beaux jardins, leurs cloîtres splendides, les magnifiques salles construites pour leurs délassements, tout était détruit et ruiné ; et beaucoup de matériaux avaient été enlevés par les habitants du village et des environs, qui n’avaient pas hésité à s’approprier une partie des dépouilles de ce même mo-