Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/56

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ouvrage, comme votre bénédictin le remarquait, se divise en deux parties, tant pour le sujet que pour la couleur et l’époque. Mais je suis fâché de ne pouvoir contenter votre ambition littéraire en permettant que votre nom paraisse sur le frontispice, et je vais vous en dire franchement la raison.

Les éditeurs de votre pays sont d’un caractère tellement facile et tellement passif, qu’ils se sont souvent fait beaucoup de tort en abandonnant les coadjuteurs qui les avaient d’abord fait connaître au public, et en permettant que leurs noms fussent usurpés par les charlatans et les imposteurs qui vivent des idées des autres. Ainsi j’ai honte de rappeler comment le sage Cid Hamet Benengeli se laissa induire par un certain Juan Avellaneda, à traiter à la turque l’ingénieux Michel Cervantes, et à publier une seconde partie des aventures de son héros, le renommé Don Quichotte, à l’insu et sans la coopération de l’auteur primitif susdit. Il est vrai que le sage Arabe revint à résipiscence et composa ensuite une véritable continuation de l’histoire du Chevalier de la Manche, dans laquelle ledit Avellanedade Gordesillas est sévèrement puni. Certes, sous ce rapport, vous autres pseudo-éditeurs, ressemblez au singe du faiseur de tours, auquel un vieil Écossais comparait Jacques Iss. « Si vous tenez Joko, disait-il, vous pouvez me faire mordre par lui ; au contraire, si c’est moi qui le tiens, ce sera vous que je pourrai faire mordre. Mais nonobstant l’amende honorable faite par Cid Hamet Benengeli, sa défection temporaire n’en occasionna pas moins le décès de l’ingénieux chevalier[1] Don Quichotte, si l’on peut dire que celui-là meurt dont la mémoire est immortelle. Cervantes le tua, de peur qu’il ne tombât de nouveau en de mauvaises mains ; conséquence terrible, mais juste, de la défection de Cid Hamet !

Pour citer un exemple plus moderne et beaucoup moins sérieux, je vois avec peine que mon vieil ami Jedediah Cleishbotham se soit oublié au point d’abandonner son premier patron et de s’établir en son propre et privé nom[2]. Je crains fort que le pauvre pédagogue ne tire pas grand profit de sa nouvelle association, si ce n’est le plaisir d’occuper le public, et peut-être la bande noire

  1. Le texte emploie l’épithète espagnole hidalgo, qui veut dire gentilhomme ou noble d’extraction. a. m.
  2. Allusion à un mauvais ouvrage ayant pour titre le château de Pontefract, et publié, soi disant, comme suite aux Contes de mon hôte, ce qui avait pu nuire à la gloire de Walter Scott, auquel cette supercherie le faisait attribuer. a. m.