Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/387

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je m’épargne la vue des scènes qui vont avoir lieu ici ; je ne pourrais supporter de voir les yeux de Marie Avenel briller de joie quand elle retrouvera celui qu’elle préfère. Ce serait un spectacle capable de faire de moi un second Caïn. Ma joie farouche, dénaturée, passagère, s’est satisfaite en se livrant au désir de commettre un homicide. Puis-je savoir à quels excès me porterait la frénésie de mon désespoir !

— Insensé ! s’écria le sous-prieur, à quelle horrible pensée t’entraîne ta fureur ?

— Mon sort est décidé, » reprit Édouard d’un ton résolu ; « je veux embrasser l’état spirituel que vous m’avez si souvent recommandé. Je veux retourner avec vous au couvent de Sainte-Marie, et avec la permission de la sainte Vierge et de saint Benoît, prier l’abbé de me recevoir au nombre des novices.

— Non pas maintenant, mon fils, non pas dans l’état d’exaspération où vous êtes. Les hommes sages et bons n’acceptent pas les dons qu’on leur fait dans l’emportement de la passion, et dont on pourrait se repentir plus tard : présenterons-nous nos offrandes à celui qui est la sagesse et la bonté même, avec moins de solennité et d’humble attention qu’il n’en faut pour les rendre agréables à nos faibles compagnons dans cette vallée de ténèbres ? Je vous dis cela, mon fils, non pas pour vous détourner du bon sentier que vous êtes porté à préférer, mais pour être plus sûr de votre choix et de votre vocation.

— Il y a des résolutions, mon père, qui ne souffrent aucun délai, et la mienne est de ce genre. Il faut que je l’accomplisse à l’instant même, où elle ne sera point accomplie. Permettez-moi donc de retourner avec vous ; je ne veux pas être témoin du retour d’Halbert dans cette maison ; la honte et le souvenir des injustes sentiments qui m’ont animé contre lui se joindraient à ces terribles passions, qui se combattent dans mon sein. Je vous en conjure donc une seconde fois, permettez-moi de retourner avec vous.

— Oui, sans doute, mon fils, je vous permettrai de me suivre ; mais notre règle, ainsi que la raison et le bon ordre, exige que vous demeuriez pendant un certain temps comme novice avant de prononcer ces vœux indissolubles, qui, vous séquestrant pour jamais du monde, vous consacreront au service du ciel.

— Et quand partons-nous, mon père ? » demanda le jeune homme avec autant de vivacité que si le voyage qu’il allait commencer l’eût mené à une fête par un beau jour d’été.