Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’avait jeté, il attendit tranquillement que l’abbé lui fît connaître ses intentions.

L’expression ingénue de sa physionomie, sa beauté et son attitude pleine de grâces ne manquèrent pas de prévenir en sa faveur le clergé en présence duquel il se trouvait. L’abbé tourna les yeux, et échangea avec le père Eustache un regard satisfait, quoiqu’il fût bien possible que la nomination d’un archer, ou d’un garde-chasse, fût une chose qu’il se proposait d’effectuer sans l’avis du sous-prieur, pour montrer sa parfaite liberté. Mais la bonne mine du jeune homme objet de cette nomination était telle qu’il ne songea qu’à se féliciter de l’acquisition, sans penser pour le moment à ses petites jalousies. Le père Eustache ressentait le plaisir d’un homme vertueux qui voit un bienfait accordé à l’objet qu’il en sait digne ; car comme il n’avait pas revu Halbert depuis les circonstances qui avaient changé les manières et les sentiments de ce jeune homme, le sous-prieur pouvait à peine penser que cette place ne pût convenir, malgré l’incertitude de la mère, à un ami zélé des plaisirs de la chasse. Le sommelier et le cuisinier furent si enchantés de l’extérieur d’Halbert qu’ils étaient persuadés que les appointements, le casuel, la portion, le pâturage, le justaucorps et les braies, ne pouvaient être accordés plus dignement qu’au jeune homme plein de grâces et d’activité qui se trouvait devant eux.

Soit que sir Piercy Shafton fût trop plongé dans ses méditations, ou qu’il crût le sujet indigne de son attention, il ne parut point partager le sentiment général d’approbation qu’excitait la présence du jeune homme. Il resta immobile sur sa chaise, les yeux à moitié fermés et les bras croisés, et il parut se livrer à la contemplation de choses plus importantes que celles que l’on traitait devant lui. Malgré sa prétendue absence d’esprit, il y avait une certaine expression de vanité sur la belle figure de sir Piercy ; il se posait dans une attitude pleine de grâce (à ce qu’il pensait), et quand il croyait avoir produit tout son effet sous ce point de vue, il changeait son attitude pour une non moins extraordinairement gracieuse. De temps à autre il lançait à la dérobée un regard vers la partie féminine de la société, pour épier jusqu’à quel point il attirait l’attention. Le soin extrême que prenait le chevalier pour se former une physionomie lui donnait un fort léger avantage sur les traits plus forts et moins réguliers d’Halbert Glendinning et sur l’expression tranquille et mâle d’une âme qui sent toute sa force.