Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je ne refuserai pas, reprit l’archer avec un calme imperturbable.

— Cependant, vous autres rustauds de Saxons, dit le prince avec fierté, levez-vous ; car, par la lumière du ciel, puisque je l’ai annoncé, le Juif s’assiéra parmi vous.

— Nullement, mon prince, s’il plaît à votre grâce ; il ne nous convient pas de prendre rang parmi les puissants de la terre, » dit le Juif dont l’ambition avait bien pu le porter à disputer la place avec le descendant ruiné de la famille de Montdidier, mais ne le poussait point à se commettre avec de riches Saxons.

« Debout, chien d’infidèle, quand je te le commande, dit le prince Jean, ou je te fais arracher ta peau noire et tannée pour me servir de selle. » Ainsi poussé, le Juif commença à monter lentement les degrés qui menaient à la galerie en question.

« Voyons, qui osera l’arrêter ? » ajouta le prince en attachant ses regards sur Cedric, dont l’attitude annonçait l’intention de précipiter le Juif du haut de la galerie. Le fou Wamba prévint la catastrophe en se précipitant entre son maître et Isaac, et en s’écriant en réponse au défi du prince : « Parbleu, ce sera moi ; » et il passa sous la barbe du Juif un bouclier de jambon qu’il tira de dessous son manteau, et dont il s’était muni probablement de peur que le tournoi ne le fît rester plus long-temps que son appétit ne pourrait supporter l’abstinence. Le Juif voyant sous son nez l’objet le plus en horreur parmi les douze tribus, pendant que le bouffon brandissait sur sa tête un sabre de bois, sentit ses jambes lui manquer, et il roula de degré en degré jusqu’au bas de l’escalier, aux bruyants éclats de rire des spectateurs, applaudissements que le prince lui-même et sa suite partagèrent de bon cœur.

« Accordez-moi le prix, cousin prince, dit Wamba ; j’ai vaincu mon ennemi en champ clos avec l’épée et le bouclier, « ajouta-t-il en brandissant d’une main le jambon et de l’autre le sabre de bois.

« Qui es-tu, noble champion ? » dit le prince éclatant de rire.

« Fou par droit de naissance, répondit le bouffon ; je suis Wamba, fils de Witless, qui fut le fils de Weatherbrain, qui fut le fils d’un alderman.

— Place au Juif dans la galerie inférieure, dit le prince qui, sans doute, fut bien aise de saisir un prétexte pour révoquer ses premiers ordres ; il ne conviendrait pas de faire asseoir le vaincu près du vainqueur.