Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/461

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pieds si fortement liés que les chevilles m’en font mal seulement d’y penser ; le lieu complètement noir, les oubliettes, je m’imagine, de ce maudit couvent, et, comme me le fit conjecturer l’odeur cadavéreuse, humide, étouffante qui en émanait, un caveau, un lieu de sépulture. Je me faisais déjà d’étranges idées sur ce qui venait de m’arriver, lorsque la porte de mon adieux donjon tourna en criant sur ses gonds, et je vis entrer deux scélérats de moines. Ne voulaient-ils pas me persuader que j’étais en purgatoire ? Mais je connaissais trop bien la voix poussive, la respiration courte du père abbé. Saint Jérémie ! quelle différence de ce ton à celui avec lequel il me demandait une autre tranche de venaison ! Ce chien-là avait pourtant fait bombance avec moi depuis Noël jusqu’aux Rois.

— Patience, noble Athelstane, dit le roi ; reprenez haleine ; racontez votre histoire à loisir : sur mon honneur ! elle est aussi intéressante qu’un roman.

— C’est possible ; mais, par la croix de Bromeholm, il ne s’agit pas ici de roman. Un pain d’orbe et une cruche d’eau, voilà tout ce qu’ils m’ont donné, les traîtres ! eux que mon père et moi avions enrichis, dans un temps où ils n’avaient pour toute ressource que les tranches de lard et les mesures de grain que, par leurs cajoleries, ils obtenaient de pauvres et misérables serfs, en échange de leurs prières. Repaire infâme d’impures, d’ingrates, d’abominables vipères ! un pain d’orge et une cruche d’eau pour moi, pour un bienfaiteur tel que moi ! Mais je les enfumerai dans leur tanière, dussé-je être excommunié !

— Mais, au nom de la sainte Vierge, noble Athelstane ! » dit Cedric en prenant la main de son ami, « comment as-tu échappé à cet éminent péril ? Leurs cœurs se sont-ils laissé toucher ?

— Toucher ! le soleil peut-il fondre les rochers ? J’y serais encore sans un mouvement qui a eu lieu dans le couvent, occasioné, à ce que je vois, par la marche des moines qui venaient pour assister au repas de mes funérailles, tandis qu’ils savaient fort bien où et comment ils m’avaient enterré tout vivant. J’entendis le chant rauque de leurs psaumes, ne me doutant guère qu’ils étaient occupés à prier pour le repos de l’âme de celui qu’ils faisaient mourir de faim. Ils partirent cependant, et j’attendis long-temps que l’on m’apportât ma chétive nourriture : cela n’est pas étonnant, parce que le sacristain goutteux s’occupait plus de sa cuisine que de la mienne. Il arriva enfin d’un pas chancelant, et toute sa personne exhalait une délicieuse odeur de vin et d’épices. La bonne chère