Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je ne songerais pas à quitter votre demeure hospitalière, vénérable prieur, si je ne me sentais capable de supporter la fatigue du voyage, et si je n’étais forcé de ne pas tarder davantage.

— Et qui donc peut vous obliger à un si prompt départ ?

— N’avez-vous donc jamais, mon digne père, lui répondit le chevalier, éprouvé de fâcheux pressentiments auxquels il vous était impossible d’assigner aucune cause ? Votre esprit ne s’est-il jamais trouvé obscurci par des nuages que je peux comparer aux paysages fantastiques qui, apparaissant tout-à-coup à l’horizon pendant que le soleil brille de toute sa splendeur, sont les précurseurs de l’orage ? Croyez-vous que de tels pressentiments ne méritent pas quelque attention, et qu’ils ne soient pas des inspirations par lesquelles nos anges gardiens nous avertissent de quelques dangers imprévus ?

— Je ne saurais nier, » dit le prieur en faisant un signe de croix, « que le ciel n’ait ce pouvoir, et que de pareilles choses n’aient existé ; mais alors de telles inspirations avaient un but visible et utile. Mais toi, blessé comme tu l’es, à quoi te servirait de suivre les pas de celui que tu ne peux secourir s’il était attaqué ?

— Vous vous trompez, prieur. Je me sens assez de force pour échanger un coup de lance contre quiconque voudrait me défier. Mais ne peut-il courir aucun autre péril où je pourrais le secourir autrement que par les armes ? Nous ne savons que trop que les Saxons n’aiment pas la race normande ; et qui sait ce qui peut arriver s’il paraît au milieu d’eux, dans un moment où leurs cœurs sont irrités de la mort d’Athelstane, et où leurs têtes seront échauffées par les orgies du banquet funéraire ? Je regarde ce moment comme très dangereux, et je suis résolu de partager ou de prévenir le danger auquel il s’expose. Je te prie donc de me prêter à cet effet un palefroi dont le pas soit plus doux que celui de mon destrier.

— Assurément, » dit le vénérable ecclésiastique, « vous aurez ma propre haquenée ; elle est accoutumée à l’amble, et son allure est aussi douce que celle de la jument de l’abbé de Saint-Alban. Vous ne pourriez trouver une monture plus commode que Malkin (c’est ainsi que je la nomme), fût-ce même le poulain du jongleur qui danse à travers les œufs sans en casser un seul. C’est un présent du prieur de Saint-Bees. Il m’arrive souvent, lorsque je voyage avec elle, de composer des homélies destinées à l’édification des frères de ce couvent et des autres chrétiens qui assistent à nos offices et à nos instructions.