Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/424

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— Soit ; mais tu oublies que tu n’auras ni le loisir ni les moyens d’exécuter ce projet insensé. Va trouver Lucas de Beaumanoir, dis-lui que tu as renoncé à ton vœu d’obéissance, et tu verras combien de temps le vieux despote te laissera libre de la personne. Tes paroles se seront à peine échappées de tes lèvres, que tu seras jeté à cent pieds sous terre, dans les cachots de la préceptorerie, pour être mis en jugement comme chevalier félon ; ou s’il continue à croire que tu es ensorcelé, tu n’auras plus pour lit que la paille, du pain et de l’eau pour aliments, les ténèbres au lieu de la lumière du soleil, et des chaînes pour jouets, dans quelque cellule d’un couvent éloigné ; là tu n’auras pour toute distraction que les exorcismes, et l’on t’inondera d’eau bénite pour chasser le démon qui te possède. Il faut paraître dans la lice, ou tu es un homme perdu et déshonoré.

— Je fuirai, dit Bois-Guilbert ; j’irai dans une contrée lointaine, où la folie et le fanatisme n’ont pas encore pénétré : le sang de cette créature angélique ne s’élèvera pas contre moi.

— Tu ne peux fuir, Bois-Guilbert : tes discours inconsidérés ont excité le soupçon, et il ne t’est plus permis de sortir de la commanderie. Veux-tu en faire l’essai ? présente-toi à la porte, et tu verras comment te recevront les sentinelles placées sur le pont-levis. Tu es surpris de pareilles précautions ; mais considère que si tu fuyais, tu déshonorerais tes ancêtres en même temps que tu encourrais toi-même la dégradation ; et alors que deviendrait la gloire, la renommée que tu as acquise par tes exploits ? Songes-y. En quel lieu iront-ils cacher leurs têtes, ces compagnons d’armes qui te sont si dévoués, quand Bois-Guilbert, la meilleure lance de l’ordre, sera proclamé renégat et félon devant le peuple assemblé ? Quel deuil pour la cour de France, quelle joie pour l’orgueilleux Richard, quand il apprendra que le chevalier qui osa lui tenir tête en Palestine et dont la renommée éclipsa même la sienne, a perdu sa gloire et son honneur pour l’amour d’une juive qu’il n’a pas même sauvée par un tel sacrifice !

— Malvoisin, je te remercie, dit le chevalier ; tu as touché la corde la plus sensible de mon cœur. Quoi qu’il arrive, jamais le titre de félon ne sera ajouté au nom de Bois-Guilbert. Plût à Dieu que Richard lui même, ou quelqu’un de ses favoris d’Angleterre, parût dans l’arène ! Mais aucun d’eux ne se présentera, aucun ne risquera de rompre une lance pour une fille innocente et persécutée.

— Tant mieux pour toi, s’il en est ainsi ; si aucun champion ne se présente pour prendre la défense de cette jeune infortunée, tu