Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/419

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t-il en se jetant à ses pieds, « cette grandeur, je la sacrifie ; cette renommée, j’y renonce ; ce pouvoir, je ne l’ambitionne plus, même en ce moment où je suis près de m’en saisir, si tu veux dire : Bois-Guilbert, je t’accepte pour amant.

— Laissez là toutes ces folies, sire chevalier, et si en effet vous voulez me servir, hâtez-vous d’aller trouver le régent, le prince Jean : par honneur pour la couronne, il ne peut laisser mettre à exécution la sentence rendue par votre grand-maître. Par cette démarche, vous m’assurerez un puissant protecteur sans avoir besoin de faire aucun sacrifice, et vous y trouverez votre propre récompense.

— Je n’ai rien à attendre du prince Jean, » dit Bois-Guilbert en tenant, d’un air passionné mais respectueux, le bord de sa robe ; « c’est à toi seule que je m’adresse ; c’est toi dont j’implore la pitié pour moi et pour toi-même ! Qui peut te faire hésiter encore ? Fussé-je un démon, le trépas serait mille fois pire que moi ; et c’est le trépas que j’ai pour rival !

— Je ne puis en ce moment sonder la profondeur de l’abîme, » dit Rébecca qui craignait de pousser à bout un homme dont elle connaissait le caractère violent, mais qui n’en était pas moins déterminée à ne pas lui donner la moindre lueur d’espérance. « Sois homme, sois chrétien. S’il est vrai que ta religion commande cette charité qui se trouve beaucoup plus dans vos discours que dans vos œuvres, sauve-moi de cette mort affreuse sans exiger une récompense qui ôterait tout son prix à ta générosité.

— Non, » dit le fougueux templier en se relevant, « non, jeune fille, tu ne m’en imposeras pas ainsi. Si je renonce à ma gloire présente et à mes vues ambitieuses pour l’avenir, je n’y renonce que pour toi, et il faut que nous fuyions ensemble. Écoute-moi, Rébecca, » reprit-il avec douceur, » l’Angleterre, l’Europe, ne sont pas l’univers entier. Il y a d’autres sphères dans lesquelles je puis me lancer, et elles sont assez vastes encore pour mon ambition. Nous irons en Palestine. Conrad de Montferrat[1] est mon ami, un véritable ami, tout aussi exempt que moi de ces vains et sots scrupules qui tiennent la raison captive : je me liguerais plutôt avec Saladin que d’endurer les dédains de fanatiques que je méprise. Je me fraierai de nouveaux chemins pour m’élever à la gloire, » ajouta-t-il en marchant à grands pas dans l’appartement. « L’Europe entendra le bruit des pas de celui qu’elle aura retranché du

  1. Le texte porte Montserrat. a. m.