Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/404

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juguer les infidèles. Ses traits se relâchèrent un peu de leur inflexibilité habituelle, lorsqu’il fixa ses regards sur la belle et intéressante créature qui, seule, sans amis, se défendait avec tant de dignité et de courage. Il fit deux fois le signe de la croix, ne sachant à quelle cause attribuer cet attendrissement inusité d’un cœur qui avait toujours été aussi dur que l’acier de son épée.

« Jeune fille, dit-il enfin, si la compassion que tu m’inspires est l’effet de quelque charme dû à ton art magique, ton crime est grand ; mais j’aime mieux la regarder comme produite dans mon cœur par un sentiment plus naturel, par l’affliction que me cause la pensée qu’une créature extérieurement aussi parfaite que toi n’est qu’un vase de perdition. Repens-toi, ma fille ; confesse tes crimes ; renonce à ta fausse croyance, aux sortilèges et aux enchantements ; embrasse notre sainte religion, et tu peux être encore heureuse, dans cette vie et dans l’autre. Placée dans quelque monastère de l’ordre le plus austère, tu auras encore le temps de prier et de faire pénitence ; suis mes conseils, prends cette sage résolution, et la vie te sera laissée. Qu’a fait pour toi la loi de Moïse ? qui t’oblige à lui faire le sacrifice de ton existence ?

— C’est la loi de mes pères, répondit Rébecca ; elle leur fut donnée sur le mont Sinaï, au milieu du tonnerre et des éclairs, et dans un nuage de feu ; vous le croyez vous-mêmes, si vous êtes chrétiens. Elle a été révoquée, dites-vous ? mais c’est ce que mes maîtres ne m’ont point enseigné.

— Qu’on fasse venir notre chapelain, dit Beaumanoir ; qu’il dise à cette infidèle obstinée…

— Pardonnez si je vous interromps, » dit Rébecca avec douceur, « je ne suis qu’une jeune fille, inhabile à soutenir une dispute théologique et religieuse ; mais je saurai mourir pour ma religion, si telle est la volonté de Dieu. Daignez me dire si vous m’accordez le privilège du combat judiciaire et d’un champion pour le soutenir.

— Donnez-moi son gant, dit Beaumanoir. Certes, » continua-t-il en examinant le tissu léger et les doigts effilés de ce gant, « voilà un gage bien faible et bien frêle pour un combat aussi terrible. Rébecca, regarde ce gant mince et léger, compare-le à nos lourds gantelets d’acier : ainsi en est-il de ta cause comparée à celle du Temple ; car c’est notre saint ordre que tu défies.

— Mets mon innocence de l’autre côté de la balance, répondit Rébecca, et le gant de soie l’emportera sur le gantelet de fer.