Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/383

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effet, revenir de mon étonnement en voyant un digne chevalier tel que Brian de Bois-Guilbert si passionnément épris des charmes de cette fille, que je n’ai reçue dans cette maison que pour opposer une barrière aux progrès de leur intimité, qui menaçait d’être cimentée par la perte de l’âme de notre vaillant et vertueux frère.

— Bois-Guilbert n’a donc point encore contrevenu à son vœu ? Pourriez-vous l’affirmer ?

— Sous ce toit ? » répondit le précepteur en faisant un signe de croix : « sainte Madeleine et les onze mille Vierges nous en préservent ! Non, si j’ai commis une faute en la recevant ici, cette faute, je l’ai commise dans la pensée que c’était le seul moyen d’arracher du cœur de notre frère l’attachement insensé qu’il a conçu pour cette juive ; car cet attachement me parut tellement extraordinaire, si peu naturel, que je ne pouvais l’attribuer qu’à un accès de démence plutôt digne de pitié que de reproches. Mais, puisque votre haute sagesse a découvert que cette juive est une sorcière, la cause de cet inconcevable égarement est expliquée.

— Oui, sans aucun doute, elle est expliquée, s’écria Beaumanoir. Tu vois, Conrad, le danger de céder aux premières tentations, aux séductions de Satan ! Nous portons nos regards sur une femme, uniquement pour satisfaire le plaisir des yeux, pour contempler ce qu’on appelle la beauté ; et le vieil ennemi, qui sans cesse rôde autour de nous, complète par les talismans et les sortilèges l’œuvre de notre perte, commencée par l’oisiveté et l’imprudence. Peut-être notre frère Bois-Guilbert mérite-t-il en cette occasion la pitié plutôt qu’un châtiment sévère, peut-être sera-t-il plus juste de lui offrir l’appui du bâton pastoral, que de le châtier avec la verge ; peut-être enfin nos avis et nos prières suffiront-ils pour le guérir de sa folie et pour le rendre à ses frères.

— Ce serait une calamité pour notre ordre, dit Conrad Montfichet, s’il venait à perdre une de ses meilleures lances dans un temps où il a besoin du secours de tous ses enfants. Brian de Bois-Guilbert a tué de sa propre main au moins trois cents Sarrasins.

— Le sang de ces chiens maudits, dit le grand-maître, sera une offrande agréable aux saints et aux anges qu’ils méprisent et qu’ils blasphèment ; et, avec leur aide, nous empêcherons l’effet des sortilèges et des enchantements que l’on a jetés, comme un filet, sur notre frère. Il rompra les liens de cette Dalila, comme Samson rompit les deux cordes neuves dont les Philistins l’avaient lié, et il immolera encore des monceaux d’infidèles. Quant à cette misérable