Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/304

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font mille prouesses. L’amour des combats est l’essence de notre vie ; la poussière qui s’élève au milieu de la mêlée est l’atmosphère que nous aimons à respirer. Nous ne vivons, nous ne désirons vivre qu’aussi long-temps que nous sommes victorieux, que nous acquérons de la renommée. Telles sont, jeune fille, les lois de la chevalerie que nous avons juré d’observer, et auxquelles nous sacrifions ce que nous avons de plus cher.

— Hélas ! vaillant chevalier, qu’est-ce autre chose qu’un sacrifice fait au démon de la vaine gloire, qu’une offrande passée par le feu pour être présentée à Moloch[1] ? Et que reste-t-il pour prix de tout le sang que vous avez versé, de tous les travaux et de toutes les fatigues que vous avez endurés, de toutes les larmes que vos triomphes ont fait couler, lorsque la mort vient briser la lance du fort après l’avoir renversé de son cheval de bataille ?

— Ce qu’il nous reste, jeune fille ! la gloire ; oui, la gloire qui dore nos tombeaux et qui assure l’immortalité à notre nom.

— La gloire ! reprit Rébecca, hélas ! c’est la cotte de mailles rongée par la rouille, suspendue comme un trophée au dessus du tombeau noirci par le temps et tombant en ruine ; c’est l’inscription à demi effacée, que le moine ignorant peut à peine lire au voyageur dont elle excite la curiosité. Est-ce là, dites-moi, une récompense suffisante pour le sacrifice des plus douces affections, pour une vie passée misérablement à rendre les autres misérables ? Les vers grossiers d’un barde errant ont-ils donc un attrait assez puissant pour vous faire préférer aux sentiments les plus doux de la nature, à la paix et au bonheur, le plaisir de devenir le héros de ces ballades que de vagabonds ménestrels chanteront le soir aux tables des grands, ou dont ils charment les oreilles d’un rustre à moitié ivre ?

— Par l’âme d’Hereward[2] ! » s’écria le chevalier d’un ton d’impatience, « tu parles de choses que tu ne connais point. Tu voudrais éteindre le feu pur de la chevalerie, ce qui distingue le noble du vilain, le chevalier civilisé du grossier paysan ; ce qui nous fait mettre la vie au dessous, bien au dessous de l’honneur ; ce qui nous

  1. Idole des Ammonites, à laquelle on offrait les enfants nouveau-nés en les faisant passer par le feu allumé dans l’intérieur de la statue. Les prêtres avaient l’astuce de verser du plomb fondu dans les yeux de cette idole, comme si elle eût été sensible aux cris de ses victimes. On sait du reste qu’en hébreu moloch signifie roi. a. m.
  2. Chevalier errant d’origine saxonne, et qui était absent de l’Angleterre lors de la conquête. a. m.