Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/246

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aux conditions que tu dicteras toi-même ; il faut que tu consentes à partager avec moi des espérances plus étendues que celles qu’on peut concevoir sur le trône d’un monarque. Écoute-moi avant de répondre, et réfléchis avant de refuser. Le templier, comme tu l’as dit, perd ses droits sociaux et l’exercice de son libre arbitre ; mais il devient membre d’un corps puissant, devant lequel les trônes tremblent déjà. La goutte de pluie qui tombe dans la mer devient une portion de cet océan irrésistible qui mine les rochers et engloutit des flottes entières : notre ordre aussi est un océan. Je ne suis pas un de ses membres les plus faibles ; mes exploits m’ont déjà fait désigner pour la première commanderie vacante ; et peut-être un jour tiendrai-je le bâton de grand-maître. Que je l’obtienne ! et les pauvres soldats du Temple ne se borneront plus à placer le pied sur le cou des rois, un moine à sandales de cordes peut en faire autant : notre cotte de mailles s’assiéra sur le trône ; notre gantelet arrachera le sceptre de la main des rois. Le règne de votre Messie, vainement attendu, ne procurerait pas à vos tribus dispersées un pouvoir égal à celui auquel mon ambition aspire. Je ne cherchais qu’une âme aussi ardente que la mienne pour le partager avec moi, et je l’ai trouvée en vous ; c’est la vôtre !

— Est-ce à une fille d’Israël que tu parles ainsi ? Songe donc…

— Ne me réponds pas en alléguant la différence de nos croyances. Dans nos assemblées secrètes, nous ne faisons que rire de ces contes de nourrice. Ne crois pas que nous soyons restés aveugles sur la niaise folie de nos fondateurs, qui abjurèrent toutes les délices de la vie pour gagner ce qu’ils appelaient la couronne du martyre, mourant de faim et de soif, victimes de la peste ou du glaive des barbares, contre lesquels ils s’efforçaient en vain de défendre un stérile désert qui n’a de prix qu’aux yeux de la superstition. Notre ordre conçut bientôt des vues plus hardies et plus larges, et trouva une plus solide indemnité de ses sacrifices. Nos immenses possessions dans tous les royaumes de l’Europe, notre haute renommée militaire, qui amène dans nos rangs la fleur de la chevalerie de tous les pays de la chrétienté ; voilà le but auquel ne songeaient guère nos pieux fondateurs, but que nous tenons caché aux esprits faibles qui embrassent notre ordre d’après les vieux préjugés, et dont la crédulité fait pour nous d’aveugles instruments. Mais je ne soulèverai pas davantage le voile qui couvre encore nos desseins. Le son du cor que vous venez d’entendre annonce que ma présence peut être nécessaire ailleurs. Réfléchis sur ce que je viens de te dire.