Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/235

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prouver que la fiction même peut à peine représenter la triste réalité des horreurs de ces temps.

La description faite par l’auteur de la Chronique saxonne des cruautés exercées sous le règne du roi Étienne par les grands barons et les seigneurs de châteaux, qui étaient tous Normands, fournit une forte preuve des excès dont ils étaient capables dans la violence de leurs passions. « Ils opprimaient horriblement le peuple, dit-il, en lui faisant construire des forteresses ; et lorsqu’elles étaient construites, ils les remplissaient de scélérats qui s’emparaient des hommes et des femmes de qui ils espéraient arracher une rançon, les jetaient dans des cachots, et leur infligeaient des tortures plus cruelles que jamais martyr n’en supporta. Ils étouffaient les uns dans la boue, suspendaient les autres par les pieds, par la tête, ou par les pouces, allumant du feu au dessous d’eux. À quelques uns ils serraient la tête avec des cordes pleines de nœuds, jusqu’à ce qu’elles pénétrassent dans leur cerveau, tandis que d’autres étaient jetés dans des culs de basse-fosse remplis de serpents, de vipères et de crapauds[1]… » Mais il y aurait trop de cruauté à condamner le lecteur à lire entièrement cette affreuse description.

Comme une autre preuve, et peut-être la plus forte que nous puissions donner de ces fruits amers de la conquête, nous ferons remarquer que l’impératrice Mathilde, quoique fille du roi d’Écosse, et ensuite reine d’Angleterre et impératrice d’Allemagne, fille, épouse et mère de monarques, fut obligée, pendant le séjour qu’elle fit dans sa jeunesse en Angleterre pour son éducation, de prendre le voile, comme le seul moyen d’échapper aux poursuites licencieuses des nobles normands. Ce fut là le motif qu’elle allégua devant le grand conseil du clergé britannique, comme la seule raison qui lui avait fait prendre le voile. Le clergé assemblé reconnut la validité de ce moyen et la notoriété des circonstances sur lesquelles il était fondé : c’était rendre un témoignage frappant et incontestable contre cette licence honteuse qui fit l’opprobre de ce siècle. Il était généralement reconnu, dit-on, qu’après la conquête de l’Angleterre par Guillaume, les Normands venus à sa suite, fiers d’une si grande victoire, n’obéirent à d’autres lois qu’à celles de leurs passions effrénées. Non seulement ils dépouillèrent de leurs propriétés les Saxons qu’ils avaient vaincus, mais encore ils attaquèrent l’honneur de leurs femmes et de leurs filles avec la plus brutale licence. De là vient qu’il était très ordinaire de voir les veuves et

  1. Histoire de Henry, t. vii, page 316 ; édit. de 1803.