Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/226

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le ciel, Isaac, je regrette de ne l’avoir pas su plus tôt. Je croyais que cette fille aux yeux noirs était ta concubine, et je l’ai donnée pour femme de chambre au templier Brian de Bois-Guilbert, suivant l’excellent exemple que nous ont laissé tes saints patriarches. »

À cette nouvelle, Isaac poussa un tel cri que les voûtes du caveau en retentirent, et les Sarrasins en furent tellement surpris, qu’ils lâchèrent son manteau par lequel ils le tenaient depuis le commencement de cette scène. Il profita de cette espèce de liberté pour se jeter aux pieds de Front-de-Bœuf et embrasser ses genoux.

« Prenez tout ce que vous m’avez demandé, noble chevalier ; exigez dix fois davantage, réduisez-moi à la mendicité, percez-moi de votre lance, grillez-moi sur la braise, mais épargnez ma fille et sauvez son honneur : si vous êtes né d’une femme, sauvez une vierge sans défense ; elle est l’image de ma défunte Rachel, le dernier des six gages que j’ai reçus de son amour. Voulez-vous priver un vieillard de la seule consolation qui lui reste ? Voulez-vous réduire un père à regretter que son seul enfant n’ait pas encore rejoint sa mère dans le tombeau de ses ancêtres ?

— Je voudrais avoir su cela plus tôt, » dit le Normand un peu radouci ; « je croyais que votre race n’aimait que son argent.

— Ne pensez pas si mal de nous, » reprit Isaac jaloux de saisir le moment d’une apparente sympathie : « le renard que l’on chasse, le chat sauvage que l’on torture, aiment leurs petits, et la race méprisée et persécutée du grand Abraham aime ses enfants.

— Soit ! répondit Front-de-Bœuf, je le croirai à l’avenir, pour l’amour de toi, Isaac : mais cela ne nous sert à rien présentement. Ce qui est fait est fait ; il ne dépend pas de moi que ce qui est arrivé n’ait pas eu lieu. J’ai donné ma parole à mon compagnon d’armes, et je ne la violerais pas pour dix juifs et dix juives par dessus le marché. D’ailleurs, quel grand mal pour ta fille d’être la captive de Bois-Guilbert ?

— Quel mal ! » s’écria le Juif en se tordant les mains ; « depuis quand un templier a-t-il respecté la vie d’un homme et l’honneur d’une femme ?

— Chien d’infidèle, » s’écria Front-de-Bœuf avec des yeux étincelants de colère, et intérieurement satisfait de saisir un prétexte pour s’y livrer, « ne blasphème pas le saint ordre du temple de Sion ; songe plutôt à me payer la rançon que tu as promise, ou malheur à toi !

— Brigand ! assassin ! » s’écria le Juif cédant à un sentiment d’in-