Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/22

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des mœurs. Mais le même motif qui m’empêche d’écrire le dialogue de mon drame en anglo-saxon ou en normand-français, comme aussi de publier cet essai avec les caractères d’imprimerie de Caxton et de Wynken de Worde[1], m’interdit également de me confiner dans les limites de la période à laquelle se rapporte mon histoire. Pour exciter un intérêt quelconque, il est nécessaire que le sujet adopté se traduise, pour ainsi dire, dans les mœurs et la langue de notre temps. Jamais la littérature orientale n’a produit d’illusion semblable à celle de la traduction première des Mille et une Nuits par M. Galland. Conservant d’un côté la splendeur du costume, et de l’autre la rudesse ou la bizarrerie des fictions de l’Orient, il y mêle des sentiments et des expressions si naturelles, qu’il les rendit intelligibles et intéressantes, en même temps qu’il diminuait la longueur fatigante des récits, changeait les inflexions monotones et rejetait les répétitions sans fin de l’original arabe. Aussi ces contes, bien que moins purement orientaux que dans leur source primitive, s’assortirent beaucoup mieux au goût européen, et obtinrent un degré de faveur que certainement ils n’eussent jamais atteint si les mœurs et le style n’avaient été en quelque façon appropriés aux sentiments et aux usages des lecteurs occidentaux.

En fait, pour la multitude de ceux qui, j’en ai la confiance liront cet ouvrage avec avidité, j’ai tellement expliqué les mœurs anciennes dans un langage moderne, et détaillé avec un si grand soin les caractères et les idées de mes personnages, que le lecteur moderne ne se trouvera pas, je l’espère, arrêté par la sécheresse accablante de l’antiquité ; et en ceci, je crois n’avoir point excédé la grande licence accordée à l’auteur d’une composition romanesque. Feu l’ingénieux M. Strutt, dans son roman de Queen Hoo-Hall, s’est comporté d’après un autre principe ; et, en essayant de distinguer l’ancien du moderne, il a oublié, selon moi d’avoir égard à ce terrain neutre, à ce rapport entre des idées communes à nos ancêtres et à nous-mêmes, et qui nous sont parvenues sans altération, ou qui, tirant leur origine d’une même nature, doivent avoir également existé dans toutes les phases de la civilisation. De cette manière, un homme de talent, un antiquaire doué d’une vaste érudition, a diminué le succès de son ouvrage en excluant tout ce qui n’était pas assez suranné pour être à la fois oublié et inintelligible. La licence que je voudrais ici justifier est tellement nécessaire à l’exécution de mon plan, que je

  1. Anciens typographes anglais. a. m.