Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/190

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tels que ces fiers Normands en ont rarement usé envers nous depuis la fatale journée d’Hastings. Je m’y trouverai, ne fut-ce que pour montrer à ces orgueilleux étrangers combien peu le destin d’un fils qui a vaincu leurs plus vaillants guerriers peut troubler le cœur d’un Saxon.

— Et moi je n’irai pas, dit-elle. Prenez garde que ce que vous prenez pour du courage et de la fermeté ne soit au fond que de la dureté de cœur.

— Restez donc, ingrate dame. C’est votre cœur qui est endurci, puisque vous sacrifiez les intérêts d’une nation opprimée à un frivole, je dirai même à un illégitime attachement. Pour moi, je me rendrai avec Athelstane au festin du prince Jean d’Anjou. »

Ils partirent en effet pour assister à ce banquet, des principaux événements duquel nous avons déjà rendu compte. Dès qu’ils furent sortis du château, les deux thanes, avec leur suite, montèrent à cheval, et ce fut pendant le tumulte occasioné par ce départ, que, pour la première fois, les yeux de Cedric tombèrent sur le fugitif gardeur de pourceaux. Le noble Saxon, comme nous l’avons vu, était revenu du banquet de très mauvaise humeur, et par conséquent disposé à saisir le premier prétexte pour donner un libre cours à sa colère. « Des fers ! s’écria-t-il, des fers ! qu’on le garrotte ! Oswald ! Hundibert ! misérables ! comment osez-vous laisser en liberté ce coquin de valet ! » Les compagnons de Gurth, n’osant hasarder la moindre remontrance en sa faveur, lui attachèrent les mains derrière le dos avec la première corde venue. Il se soumit sans murmurer à ce traitement rigoureux, seulement il jeta sur son maître un regard de reproche, en lui disant : « Cela vient de ce que j’aime votre sang plus que le mien.

— À cheval, et en avant ! s’écria Cedric.

— Il en est grandement temps, dit le noble Athelstane ; car, si nous ne hâtons le pas, l’arrière-souper[1] que nous a fait préparer le digne abbé de Waltheoff ne vaudra plus rien. »

Nos voyageurs firent pourtant assez de diligence pour atteindre le couvent de Saint-Withold avant qu’un tel malheur pût se réaliser. Issu d’une ancienne famille saxonne, l’abbé reçut ses deux compatriotes avec toute l’hospitalité que cette nation aimait à déployer. On resta à table fort avant dans la nuit, ou, pour mieux dire, jus-

  1. L’expression anglaise arriere-supper, arrière-souper, était un repas de nuit ; elle signifie une collation que l’on servait à une heure avancée et après le souper ordinaire. a. m.