Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/181

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pour cette fois de ma règle d’abstinence, » répondit le cénobite. Et comme dans ce temps-là il n’existait pas de fourchettes, il plongea sur-le-champ ses doigts dans les profondeurs du pâté.

La glace de la cérémonie étant une fois rompue, l’ermite et le chevalier firent assaut d’appétit ; mais quoique celui-ci eût probablement jeûné plus long-temps, le cénobite le laissa bien loin derrière lui.

« Saint père, » dit le chevalier lorsque sa faim fut apaisée, « je parierais mon cheval contre un sequin que l’honnête garde forestier auquel nous sommes redevables de cette venaison, l’a laissé un baril de Bordeaux, ou une pipe de Madère, ou quelque autre bagatelle analogue, comme auxiliaire de son pâté. Cette circonstance, je ne l’ignore point, ne serait pas digne de rester dans la mémoire d’un cénobite aussi rigide ; mais je pense que si vous vouliez chercher encore dans le fond de votre cellule, vous trouveriez que ma conjecture n’est pas dénuée de fondement. »

L’ermite ne répondit que par une grimace ; et, retournant à l’armoire où il avait pris le pâté, il en rapporta une bouteille de cuir qui pouvait contenir environ quatre litres. Il la mit sur la table avec deux coupes de corne cerclées en argent ; et, après avoir fait au souper cette addition d’un liquide très convenable pour l’arroser, il crut pouvoir mettre toute gêne de côté. Remplissant donc les deux coupes, il en prit une en disant en saxon : « Waël haël. À votre santé, chevalier Fainéant ! » et il la vida d’un trait.

« Drink haël. Je bois à la vôtre, ermite de Copmanhurst, » répondit le guerrier ; et il lui fit raison de la même manière. « Saint personnage, » ajouta-t-il après le premier toast, « je ne saurais que m’étonner de plus en plus qu’un homme doué de qualités et de forces telles que les tiennes, et qui par dessus tout se montre un excellent convive, ait songé à vivre seul dans un désert. À mon avis, vous seriez bien plutôt fait[1] pour prendre d’assaut un castel ou une forteresse, en mangeant gras et buvant sec, que pour vous nourrir ici de légumes et vous abreuver d’eau claire, ou même pour dépendre de la charité du garde forestier. Si j’étais à votre place, je chasserais du moins à mon bon plaisir les daims du roi. Il y en a en

  1. L’auteur anglais passe alternativement du vous au tu, afin de varier sans doute le ton de la conversation à la fois noble et familière de ses interlocuteurs, Nous avons fréquemment reproduit ces formes d’élocution, pour mieux encore nous rapprocher des intentions et du style de l’écrivain britannique. a. m.