Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces deux nobles personnages portaient l’ancien costume saxon, qui, sans être laid par lui-même, était si différent de celui des autres convives, que le prince se fit un mérite auprès de Waldemar Fitzurse d’avoir pu se contenir assez pour ne pas rire à la vue d’un costume que la mode du jour rendait si ridicule. Cependant, à des yeux moins prévenus, la tunique courte et étroite et le long manteau des Saxons auraient paru des vêtements plus gracieux et plus commodes à la fois que ceux des Normands, qui portaient un long pourpoint tellement large qu’il ressemblait à une chemise ou à une blouse de charretier, par dessus un manteau court qui ne pouvait les préserver ni du froid ni de la pluie, et qui semblait n’avoir été inventé que pour étaler autant de fourrures, de broderies et de joyaux que l’art du tailleur pouvait parvenir à en mettre. L’empereur Charlemagne semble avoir bien reconnu tous les inconvénients de cette mode bizarre. « Au nom du ciel ! à quoi servent, disait-il, ces manteaux courts, ces rudiments d’habits ? Quand nous sommes au lit, ils ne peuvent nous couvrir ; à cheval, ils ne nous garantissent ni du vent ni de la pluie ; et lorsque nous sommes assis, ils ne préservent nos jambes ni du froid ni de l’humidité. »

Cependant, en dépit de cette censure impériale, les manteaux courts furent à la mode jusqu’à l’époque dont nous parlons, surtout parmi les princes de la maison d’Anjou. Les courtisans du prince Jean s’en étaient donc affublés ; et ils ne manquaient pas de se moquer des longs manteaux saxons.

Les convives s’assirent à une table qui paraissait près de crouler sous le poids et le nombre de mets recherchés. Une multitude de cuisiniers qui suivaient le prince dans ses voyages, après avoir déployé tout leur art pour varier les formes sous lesquelles les aliments peuvent être servis, étaient parvenus presque aussi sûrement que de modernes professeurs dans l’art culinaire à ôter aux plus simples mets leurs apparences naturelles. Outre ceux d’origine anglaise, une grande variété de friandises importées de contrées lointaines, des pâtisseries de toute espèce, des gâteaux, des tartelettes de confitures, présentaient aux regards une agréable diversité qui ne se montrait que dans les repas donnés par la plus haute noblesse. Les vins les plus exquis, soit étrangers, soit nationaux, couronnaient la pompe du banquet[1].

  1. La vigne n’a cessé d’être cultivée en Angleterre que vers la fin du moyen âge. Il y a deux cents ans, les environs de Londres, et notamment les coteaux de Chelsea, étaient encore couverts de vignobles. a. m.