Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/124

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gent s’en allèrent enrichir le noir abîme des flots ! N’était-ce pas un moment de calamité inexprimable, quoique ce sacrifice fût l’œuvre de mes mains ?

— Mais c’était pour sauver nos jours, mon père, répondit Rébecca, et depuis ce temps le Dieu de nos pères a béni vos entreprises et vous a comblé de présents.

— Oui, repartit Isaac, mais si le tyran y puise comme il l’a fait aujourd’hui, mais s’il m’oblige à sourire pendant qu’il me dépouille ! ma fille ! volés, errans comme nous le sommes, le plus grand malheur qui puisse atteindre notre race, c’est de voir qu’à l’instant même où l’on nous pille et nous outrage, nous sommes forcés de supporter encore les moqueries du monde, et de prendre patience lorsque nous devrions nous venger dignement.

— Ne songez point à cela, mon père, dit Rébecca ; nous avons d’autres avantages : ces Gentils, cruels et oppresseurs comme ils le sont, dépendent en quelque sorte des enfants dispersés de Sion, qu’ils méprisent et qu’ils persécutent. Sans le secours de nos richesses, ils ne pourraient combattre leurs ennemis à la guerre, ni parer leurs triomphes dans la paix, et l’or que nous leur prêtons rentre avec intérêt dans nos coffres. Nous ressemblons à l’herbe qui n’en fleurit que mieux quand le pied l’a foulée. Même la pompe d’aujourd’hui n’eût pas eu lieu sans l’aide et l’appui de ces Juifs méprisés, qui ont fourni les moyens de l’orner.

— Ma fille, dit Isaac, tu as touché une autre corde de douleur ; le beau coursier et la riche armure dont la valeur égale le gain de mon dernier marché avec Kirgath Jaïram de Leicester, c’est une perte trop grande sur mes profits d’une semaine, oui, d’un sabbat à l’autre ; cependant il peut arriver mieux que je ne pense, car c’est un bon jeune homme.

— Assurément, dit Rébecca, vous ne vous repentirez pas d’avoir reconnu le service que vous avez reçu du chevalier étranger.

— Je l’espère, ma fille, et j’espère aussi la reconstruction du temple de Jérusalem avec autant de raison que je compte voir de mes propres yeux un chrétien payer une dette à un Juif, à moins qu’il ne se trouve enchaîné par la crainte du magistrat ou du geôlier. »

En parlant ainsi, il reprenait sa promenade mécontente dans la salle, et Rébecca, s’apercevant que ses efforts pour le consoler ne servaient qu’à éveiller de nouveaux sujets de plaintes, se décida sagement à garder le silence, conduite que nous recommanderons à