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CHAPITRE VI.

les deux recruteurs.


Est-ce donc pour entendre un conte ridicule que ces guerriers sont venus ici ? Nos bras, accoutumés à donner la mort, se laisseront-ils amollir par de sottes larmes ?
Anonyme.


Dans la soirée du jour où le lord Keeper et sa fille furent sauvés d’un péril aussi imminent, deux étrangers étaient assis dans la chambre la plus retirée d’une petite auberge, ou plutôt d’un obscur cabaret, ayant pour enseigne la Tanière du Renard, à trois ou quatre milles du château de Ravenswood, et à pareille distance de la tour délabrée de Wolf’s Crag, et par conséquent à mi-chemin entre les deux habitations.

L’un de ces étrangers paraissait âgé d’environ quarante ans ; il était grand, efflanqué, avait un nez aquilin, des yeux noirs et pénétrants, un air rusé et une figure sinistre. L’autre avait environ quinze ans de moins : il était petit, robuste ; il avait le visage coloré, des cheveux roux, des yeux où se peignaient la franchise, la résolution et la gaieté, et auxquels un certain degré d’insouciance et de fierté, ainsi qu’une intrépidité naturelle, donnaient beaucoup de feu et d’expression, malgré la couleur de ses sourcils qui étaient d’un gris clair.

Un pot de vin, car à cette époque on le tirait au tonneau dans des pots d’étain, était placé sur une table, et chacun avait son quaigh ou bicker[1] devant soi. Mais il ne paraissait pas régner entre eux beaucoup de cordialité. Les bras croisés, l’air inquiet et impatient, ils se regardaient l’un et l’autre en silence, chacun plongé dans ses réflexions et nullement disposé à les communiquer à son voisin.

À la fin le plus jeune rompit le silence, en s’écriant : « Qui diable peut retenir le maître aussi long-temps ? il faut qu’il ait échoué dans son entreprise. Pourquoi m’avez-vous dissuadé d’aller avec lui ? — Un seul homme suffit pour venger ses propres injures, » dit le personnage plus grand et plus âgé. « Nous hasardons notre vie pour lui, en venant jusqu’ici pour une pareille af-

  1. Coupes de diverses grandeurs, formées de petites douves retenues ensemble par des cerceaux. On se servait ordinairement du quaigh pour boire le vin ou l’eau-de-vie ; il pouvait tenir environ une roquille, et était souvent fait de bois précieux et garni en argent avec beaucoup de goût. Le mot écossais bicker rappelle l’italien bicchiere, verre. a. m.