Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/68

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balancer ou obscurcir le portrait idéal d’excellence chevaleresque que Lucy s’était formé du Maître de Ravenswood.

Tandis qu’elle se complaisait dans ces rêves, elle faisait de fréquentes visites à la vieille Alix, espérant qu’il serait facile de l’amener à parler sur un sujet qu’elle avait maintenant laissé imprudemment s’emparer d’une grande partie de ses pensées. Mais Alix ne satisfit point à cet égard ses désirs et son attente. La vieille aveugle parlait volontiers, et avec un sentiment d’enthousiasme, de la famille en général, mais elle semblait observer la plus grande réserve au sujet du représentant actuel en particulier. Le peu qu’elle en disait n’était pas très-propre à laisser à Lucy une idée favorable de ce jeune homme ; car elle donnait à entendre qu’il était d’un caractère dur, incapable de pardonner une injure, et plus disposé au contraire à en conserver le ressentiment. Lucy éprouvait les plus grandes alarmes, en rapprochant ce qu’elle entendait dire des dangereuses qualités d’Edgar, de l’avertissement qu’Alix avait donné d’un ton si solennel à son père, de se méfier de Ravenswood.

Mais ce même Ravenswood, sur lequel on avait conçu des soupçons aussi injustes, les avait réfutés presque aussitôt après qu’ils avaient été exprimés, en sauvant tout à la fois la vie du père et de la fille. S’il eût nourri d’aussi noirs projets de vengeance, comme on semblait l’insinuer, il n’était pas nécessaire de commettre un crime pour satisfaire complètement cette cruelle passion. Il suffisait de suspendre un seul instant le secours indispensable qu’il avait donné d’une manière si efficace, et l’objet de son ressentiment aurait péri, sans aucune agression directe de sa part, par une mort aussi épouvantable qu’elle était certaine. Elle pensait donc que des préventions secrètes, ou les soupçons que la vieillesse et le Malheur sont facilement disposés à concevoir, avaient porté Alix à former un jugement offensant pour le caractère du maître de Ravenswood, et qui ne pouvait se concilier avec la générosité de sa conduite et la noblesse de ses traits. C’était sur cette conviction que Lucy fondait ses espérances : aussi continua-t-elle à travailler à son tissu fantastique et enchanteur, aussi beau et aussi passager que celui de ce duvet que l’on voit voltiger dans les airs, couvert des perles de la rosée du matin, et brillant aux rayons du soleil qui vient de paraître.

De leur côté, le lord Keeper et le Maître de Ravenswood faisaient des réflexions aussi fréquentes, quoique mieux fondées que