Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/544

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fumer une pipe. — Saxon, répondit le mourant, ne me parle plus de ton prêtre : je meurs content. As-tu jamais rencontré un ennemi contre lequel toutes les armes étaient sans puissance ? contre lequel la balle ne pouvait rien, contre lequel la flèche s’émoussait ? dont la chair était aussi impénétrable à l’épée et au poignard que ton armure d’acier ? As-tu jamais rencontré un tel ennemi ? — Très souvent, lorsque je servais en Allemagne, répondit Dalgetty. Il y avait à Ingolstadt un drôle de ce genre ; il était tellement à l’épreuve du plomb et de l’acier, que les soldats ne parvinrent à le tuer qu’à coups de crosse de fusil. — Cet ennemi invulnérable, continua Ranald, a les mains teintes de mon sang le plus précieux ! Je lui lègue aujourd’hui un trésor de vengeance, la jalousie, le désespoir, la mort, et une vie plus misérable que la mort elle-même. Tel sera le partage d’Allan à la main sanglante quand il apprendra qu’Annette épouse Menteith ; et cette seule certitude me suffit pour me consoler d’avoir été frappé mortellement par lui. — Puisqu’il en est ainsi, répliqua le major, je n’ai plus rien à vous dire ; seulement j’aurai soin de laisser le moins de monde possible approcher de vous, car je vous avoue que la manière dont vous nous quittez n’est nullement exemplaire pour une armée chrétienne. » À ces mots, il sortit de l’appartement, et peu de temps après Ranald Mac-Eagh rendit le dernier soupir.

Cependant Menteith, laissant sir Duncan et sa fille se livrer librement aux émotions mutuelles d’un événement aussi heureux, était allé discuter avec Montrose les conséquences de cette découverte. « Je verrais dès ce moment tout l’intérêt que vous y attachez, mon cher Menteith, si je n’étais convaincu depuis longtemps que votre bonheur dépend de cette jeune dame. Vous l’aimez, et vous êtes payé de retour. Sous le rapport de la naissance il n’y a actuellement aucune objection à faire, et sous tous les autres, ses avantages personnels égalent ceux que vous possédez vous-même. Réfléchissez cependant un moment. Sir Duncan est un fanatique, ou du moins un presbytérien ; il a pris les armes contre son roi ; il n’est avec nous qu’en qualité de prisonnier, et nous ne sommes encore, je le crains bien, qu’au commencement d’une longue guerre civile. Croyez-vous, Menteith, en de telles circonstances, pouvoir lui demander la main de sa fille ? Croyez-vous qu’il vous l’accordera ? »

L’amour est un avocat aussi éloquent qu’ingénieux ; aussi inspira-t-il au jeune homme mille réponses à toutes ces objections.