Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/534

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que trop. Quelle que fût la noblesse de son âme, jamais Allan n’avait su maîtriser la fougue de ses passions. Dans la maison et le pays de ses ancêtres, on le regardait comme un lion apprivoisé que personne n’osait contrarier, de peur de réveiller sa férocité naturelle. C’est pourquoi plusieurs années s’étaient écoulées sans qu’il eût éprouvé une seule contradiction, une seule représentation ; et on avait toujours eu pour lui tant de déférence, que s’il n’était pas devenu le fléau et la terreur de tous les environs, c’était grâce à cette prudence et au bon sens qui, à l’exception de son mysticisme, formait la base de son caractère. L’arrivée subite de sir Dugald Dalgetty ne permit pas à Annette de se livrer plus long-temps à ses craintes, et interrompit le cours de ses réflexions.

On peut croire que le théâtre sur lequel le major avait passé la plus grande partie de sa vie ne l’avait pas rendu très-propre à briller dans la société des femmes ; et, par une sorte de sentiment intime, il s’avouait aisément que le langage de caserne et de corps-de-garde n’était pas fait pour leur convenir. La seule partie de sa vie consacrée à la paix s’était écoulée au collège d’Aberdeen ; et il avait oublié tout ce qu’il y avait appris, si ce n’est le talent de raccommoder ses bas, et celui d’expédier ses repas avec une célérité peu ordinaire ; talents que la nécessité et l’occasion fréquente de les mettre en pratique l’avaient aidé à entretenir dans toute leur supériorité. Cependant, c’était encore dans les souvenirs imparfaits de ce qu’il avait appris pendant cette époque de calme, qu’il puisait des sujets de conversation lorsqu’il se trouvait en société avec des dames, et son langage, en cessant d’être soldatesque, devenait celui d’un pédant.

« Miss Annette Lyle, lui dit-il en entrant, je ressemble en ce moment à la lance ou à l’esponton d’Achille[1], dont un bout pouvait blesser et l’autre guérir, qualités que ne possèdent, au surplus, ni la lance espagnole, ni la pertuisane, ni la hallebarde, ni la hache de Lochaber, ni aucune autre arme des temps modernes. »

Il répéta deux fois cette phrase introductive mais comme Annette, qui paraissait à peine l’avoir entendue la première fois, parut ne l’avoir pas comprise la seconde, il fut obligé de la lui expliquer.

« Je veux dire, miss Annette Lyle, qu’ayant été la cause qu’un honorable chevalier a reçu une blessure dangereuse, attendu que

  1. Télèphe, blessé par le fils de Pelée, n’obtint sa guérison que de la rouille du fer ensanglanté de la pique dont se servait ce héros. Il existe dans l’Anthéologie une épigramme sur ce sujet. a. m.