Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/531

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« comment pouvez-vous me faire regarder un tel spectacle ! — Vous devriez y être habituée, reprit-il ; car si vous restez dans ce camp, bientôt vous aurez à chercher sur un pareil champ de bataille le corps de mon frère, celui de Menteith, et le mien… Mais cette dernière tâche vous sera la moins douloureuse… vous ne m’aimez pas ! — Voilà la première fois que vous m’accusez de cette froideur et de cette indifférence, reprit Annette en pleurant ; vous êtes mon frère, mon sauveur, mon protecteur, puis-je donc ne pas vous aimer ! Mais l’heure de vos sombres pensées approche. permettez-moi d’aller chercher ma harpe. — Restez ! » reprit-il en continuant à la retenir par le bras ; « que mes visions me soient inspirées par le ciel ou par l’enfer, qu’elles proviennent de la sphère intermédiaire des esprits sans corps, ou qu’elles ne soient, comme les Saxons le prétendent, que les illusions d’une imagination exaltée, je défie maintenant leur influence ; je parle actuellement le langage du monde naturel, du monde visible. Vous ne m’aimez pas, Annette, vous aimez Menteith, vous êtes aimée de lui, et Allan vous est aussi indifférent que l’un des cadavres qui sont étendus sous vos yeux. »

On ne peut se dissimuler qu’un discours si étrange parut nouveau à celle à qui il était adressé ; il n’existe aucune femme qui, dans des circonstances semblables, n’eût reconnu depuis longtemps l’amour auquel l’âme de son amant était en proie ; mais, quelque léger que fût le voile qui couvrait encore ce mystère, Allan, en le déchirant aussi brusquement, lui fit entrevoir les conséquences terribles qui pouvaient en résulter d’après l’exaltation de son caractère. Elle fit donc un effort pour repousser une pareille accusation.

« Vous oubliez, lui dit-elle, que vous dérogez à votre propre dignité en insultant ainsi un être sans appui, une fille infortunée que le destin a mise entièrement en votre pouvoir. Vous savez qui je suis, et que tout s’oppose à ce que vous ou Menteith nourrissiez pour moi d’autre affection que celle de l’amitié. Vous savez enfin de quelle race malheureuse j’ai probablement reçu l’existence. — Je n’en crois rien, dit Allan avec impétuosité ; jamais une goutte de cristal n’est sortie d’une source impure. — Cependant le doute seul, reprit Annette, devrait suffire pour vous empêcher de me parler le langage de l’amour. — Je sais, dit Mac-Aulay, qu’il élève une barrière entre nous ; mais je sais que cet obstacle n’a pas été aussi insurmontable entre Menteith et vous. Croyez-moi,