Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/49

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de Ravenswood, pour qu’il y prenne tant d’intérêt ? je m’imagine que vous le savez, Lucy ; car vous vous faites un cas de conscience de déposer dans vos annales l’histoire de chaque rustaud qui habite le voisinage. — Je ne tiens pas aussi scrupuleusement à l’exactitude de mes chroniques, mon cher papa, répondit Lucy ; mais je crois que Norman a servi ici, dans sa jeunesse, avant d’aller à Ledington, d’où vous l’avez fait venir. Mais si vous voulez savoir quelques détails sur les anciens propriétaires, vous ne pouvez mieux vous adresser qu’à la vieille Alix. — Eh ! qu’ai-je à faire de ces gens-là, je vous prie, Lucy, » dit son père, « ou de leur histoire ou de leurs talents ? — Certes, mon père, je n’en sais rien, répondit-elle ; je n’en parle que parce que vous faisiez des questions à Norman au sujet du jeune Ravenswood. — Bah ! cela ne veut rien dire, » répliqua-t-il ; mais aussitôt après, il ajouta : « Et qui est cette vieille Alix ? je crois que vous connaissez toutes les vieilles du pays. — Oui, sans doute, je les connais, reprit Lucy ; autrement comment pourrai-je venir à leur secours lorsque les temps sont durs ? mais pour Alix, c’est bien l’impératrice des vieilles femmes et la reine des commères, en tout ce qui a rapport aux légendes des anciens temps. Elle est aveugle, la pauvre créature ; mais quand elle parle, on dirait qu’elle a trouvé quelque moyen de lire dans le cœur. Je vous assure qu’il m’arrive souvent de me couvrir la figure, ou de tourner la tête, car on croirait qu’elle voit quand on change de couleur, quoiqu’elle soit aveugle depuis vingt ans. Il vaut la peine de la visiter, quand ce ne serait que pour dire que vous avez vu une vieille femme paralytique et aveugle, qui a une si grande finesse de perception et tant de dignité dans ses manières. Je vous assure qu’on la prendrait pour une comtesse, à en juger par son ton et son langage. Allons, il faut que vous veniez voir Alix ; il n’y a pas un quart de mille d’ici à sa chaumière. — Tout ceci, ma chère, dit le lord Keeper, ne répond pas à ma question. Quelle est cette femme, et quelles relations a-t-elle avec la famille de l’ancien propriétaire ? — Oh ! il s’agit ici de nourrice et de nourrisson, je crois, dit Lucy, et elle reste ici, parce qu’elle a deux de ses petits-fils qui sont au nombre de vos serviteurs. Mais je m’imagine que c’est malgré elle ; car la pauvre créature regrette le changement des temps et celui de la propriété. — Je lui suis fort obligé, répliqua son père. Elle et les siens mangent mon pain et vident ma coupe, et regrettent en même temps de ne plus être au service d’une famille qui n’a ja-