Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/474

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sespoir. Eheu[1] ! comme nous avions coutume de dire au collège Mareschal, faut-il laisser Gustave entre les mains d’un tel palefrenier ! — Êtes-vous fou de perdre un temps si précieux ? dit son guide ; sommes-nous donc sur les terres d’un ami, pour que vous vous sépariez de votre cheval avec autant de regrets que s’il était votre frère ? Je vous dis que vous le reverrez ; mais, vous fallût-il renoncer à cette espérance, la vie ne vaut-elle pas mieux que le meilleur poulain que cavale ait jamais mis bas ? — Cela est vrai, mon honnête ami, » dit Dalgetty en poussant un soupir ; « mais si vous connaissiez la valeur de Gustave, et les choses que nous avons faites et souffertes ensemble ! Voyez, il tourne la tête pour me regarder ! Ayez soin de lui, mon ami sans culottes, et je vous récompenserai bien. » En parlant ainsi, il détourna les yeux d’un spectacle qui lui fendait le cœur, et, maîtrisant sa sensibilité, il se mit en devoir de suivre son guide.

Ce n’était pas une chose facile, et il fallut bientôt plus d’agilité que le major ne pouvait en déployer. À peine était-il descendu de cheval, qu’en marchant sur le bord d’un torrent, il fit un faux pas, et commença à rouler dans l’abîme ; mais, grâce à quelques branches d’arbres, et aux racines saillantes de quelques vieux troncs, il parvint à s’arrêter dans sa chute. Il leur fallait à tout instant escalader d’énormes débris de rocs, se traîner à travers des buissons d’épines et de ronces, gravir péniblement des rochers qu’ils ne pouvaient descendre qu’avec des dangers et des fatigues plus grands encore ; enfin, franchir mille obstacles dont le montagnard se tirait avec une adresse et une agilité qui excitèrent l’envie et la surprise de Dalgetty. Embarrassé par son casque et par son armure, sans parler de ses bottes fortes, il se trouva bientôt tellement excédé de fatigue, qu’il s’assit sur une pierre pour reprendre haleine : il profita de ce moment de répit pour expliquer à Ranald Mac Eagh la différence qu’il y a entre voyager expeditus et impeditus[2], et ce qu’on entendait par ces deux expressions au collège Mareschal à Aberdeen. Pour toute réponse, le montagnard frappa sur l’épaule du major, et étendit la main derrière eux dans la direction du vent. Dalgetty ne put rien voir, car la nuit était tout à fait close, et ils étaient au fond d’un obscur ravin ; mais il entendit distinctement dans le lointain le son prolongé d’une grosse cloche.

  1. Hélas ! a. m.
  2. Armé ou non armé. a. m.