Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/46

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n’eût pas ressemblé à celle d’un fleuve qui coule tranquillement en s’approchant de la cataracte !

« Eh bien, Lucy, » lui dit son père, en entrant dès que la chanson fut achevée, « est-ce que votre philosophe poète vous enseigne à mépriser le monde avant que vous le connaissiez ? Il me semble que c’est un peu prématuré : ou bien parliez-vous comme les jeunes filles qui doivent toujours affecter du mépris pour les plaisirs de la vie, jusqu’à ce qu’un galant chevalier ait l’adresse de les déterminer à les partager ? »

Lucy rougit, repoussa toute induction que l’on pouvait tirer du choix de cette chanson relativement à ses propres sentiments, et quitta aussitôt son instrument pour se conformer à la demande que lui faisait son père de venir à la promenade avec lui.

Un grand parc bien boisé, ou plutôt un terrain disposé pour la chasse, s’étendait le long de la colline derrière le château, qui, occupant comme nous l’avons dit, un passage conduisant à une haute plaine, semblait avoir été bâti dans la gorge même pour défendre l’approche de la forêt qui s’élevait majestueusement derrière ce défilé. C’était vers ce lieu romantique que le père et la fille, se tenant par le bras, s’avançaient dans une superbe avenue d’ormes, dont les branches supérieures s’entrelaçaient en berceau voûté, sous lequel on voyait errer des groupes de bêtes fauves. Comme ils se promenaient paisiblement, admirant les divers points de vue et les beautés de la nature, pour lesquelles sir William Asthon, malgré le genre de ses occupations habituelles, avait beaucoup de goût et presque de l’enthousiasme, ils furent joints par le garde forestier ou gardien du parc ; tout entier à sa chasse, l’arc au côté, et son enfant menant un chien en laisse, il s’avançait dans l’intérieur de la forêt.

« Tu vas nous tuer une pièce de venaison, n’est-ce pas, Norman ? » lui dit son maître en lui rendant son salut.

« C’est vrai, Votre Honneur, c’est ce que je vais faire, répondit-il. Désirez-vous voir la chasse ? — Non, non, » dit sir William, après avoir jeté un regard sur sa fille, qui pâlit à l’idée de voir tuer un daim, bien que, si son père eût cependant consenti au désir du garde, il est probable qu’elle n’aurait pas laissé entrevoir la moindre répugnance.

Le garde haussa les épaules. « C’est bien décourageant, dit-il, quand aucun des maîtres ne vient honorer notre divertissement de sa présence. M. Sholto ne tardera peut-être pas à re-