Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/45

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grande, que, contre l’usage des grandes familles d’Écosse, on lui avait donné le nom du chef de la maison maternelle.

« Mon Sholto, disait-elle, conservera sans tache l’honneur de la maison de sa mère, et il élèvera et il soutiendra celle de son père. La pauvre Lucy n’est pas faite pour les cours ni pour les salons. Il faut qu’elle épouse quelque laird campagnard, assez riche pour lui procurer toutes ses aisances, sans aucun effort de sa part, et sans qu’elle ait une larme à verser, excepté par la tendre appréhension qu’il ne se rompe le cou en chassant au renard. Ce n’est pas ainsi cependant que notre maison s’est élevée, et ce n’est pas ainsi qu’elle peut se fortifier et acquérir de plus hautes distinctions. La dignité de lord garde des sceaux est encore toute nouvelle pour sir William, il faut la soutenir comme si nous étions habitués à son poids, en montrant que nous sommes dignes de ce haut rang et disposés à en réclamer et à en maintenir les prérogatives. Devant les anciennes autorités les hommes se courbent par une déférence héréditaire et habituelle ; en notre présence ils se tiendront debout et la tête haute, à moins qu’ils ne soient contraints à se prosterner. Une fille qui n’est bonne que pour vivre dans une bergerie ou dans un cloître n’est guère propre à commander un respect qui n’est rendu qu’avec répugnance ; et puisque le ciel nous a refusé un troisième garçon, Lucy aurait dû avoir reçu un caractère propre à le remplacer. Heureux le moment qui disposera de sa main en faveur d’un homme doué de plus d’énergie qu’elle, ou dont l’ambition sera aussi facile à satisfaire ! »

Ainsi raisonnait une mère pour qui les qualités du cœur de ses enfants, aussi bien que la perspective de leur bonheur domestique, était peu de chose en comparaison de la grandeur et du rang auquel ils pouvaient s’élever dans le monde. Mais, comme plus d’un père et d’une mère d’un caractère ardent et impétueux, elle se trompait dans le jugement qu’elle portait des sentiments de sa fille. Sous l’apparence d’une indifférence extrême, Lucy nourrissait le germe de ces grandes passions qui croissent quelquefois en une nuit, comme la courge du prophète, et qui étonnent l’observateur par leur ardeur et leur intensité inattendues. Dans le fait, si les sentiments de Lucy paraissaient froids et inertes, c’est qu’aucune circonstance ne s’était présentée qui pût les intéresser et les exciter.. Jusqu’ici le cours de sa vie avait été doux et uniforme ; heureuse si cette surface unie du courant