Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/442

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raisons pour jeûner et être dans le chagrin. Néanmoins j’oserai dire que s’il eut consulté quelque soldat expérimenté et versé dans l’art de défendre les places fortes, il aurait bâti une redoute sur cette petite colline qui est à la gauche du pont-levis. Et je vais vous le prouver facilement, mon honnête ami. Supposons que ce pâté est le château… Quel est votre nom, mon ami ! — Lorimer, monsieur. — Eh bien, à votre santé, honnête Lorimer. Je vous disais donc, Lorimer, supposons que ce pâté soit le corps principal ou la citadelle de la place défendue, et supposons que cet os à moelle soit la redoute qu’on aurait dû élever… — Je suis fâché, monsieur, » dit Lorimer en l’interrompant, « de ne pouvoir écouter votre démonstration jusqu’à la fin. Mais la cloche va sonner, et le digne M. Graneangowl[1], chapelain particulier du marquis, célèbre le service : or, comme nous ne sommes que sept, parmi les soixante domestiques, qui entendons la langue écossaise, il serait déplacé que l’un d’eux y manquât ; d’ailleurs cela me nuirait beaucoup dans l’esprit de ma maîtresse. Voici des pipes et du tabac, si vous voulez fumer, et si vous désirez autre chose, on vous l’apportera dans deux heures, lorsque les prières seront terminées. » À ces mots il quitta la chambre.

À peine fut-il parti que la grosse cloche du château en appela les habitants à la prière ; les femmes firent entendre des clameurs aiguës, mêlées aux cris plus mâles de la langue erse, que les hommes tiraient de leur gosier, en accourant par une galerie longue et étroite qui servait de communication à plusieurs chambres, et entre autres à celle qu’on avait assignée au major.

« Ils courent comme si le tambour leur annonçait l’appel, pensa-t-il en lui-même ; s’ils vont tous à la parade, je sortirai pour prendre un peu le frais, et je remarquerai les côtés faibles de la place. »

En conséquence, lorsque tout fut calme, il ouvrit la porte de sa chambre, et il se préparait à sortir, lorsque moitié en sifflant, moitié en fredonnant un air gaélique, il vit son ami à la hache s’avancer vers lui de l’extrémité de la galerie. Ne pas montrer de l’assurance eût été un acte impolitique et peu convenable à son caractère militaire : aussi le major fit-il la meilleure contenance possible, sifflant une retraite suédoise, d’un ton plus haut que la sentinelle, et se retirant pas à pas avec un air d’indifférence,

  1. Nom fictif composé de deux mots écossais : Granean vient de groan, gémir, se plaindre, et gowl, en anglais howl, hurler. a. m.