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leva par hasard la tête, et aperçut les armoiries de la famille contre l’héritier de laquelle il aiguisait en ce moment le fer de ses flèches et préparait les filets de la loi, sculptées sur l’une des corbeilles au plafond voûté de l’appartement. C’était une tête de taureau noir, avec la devise : J’attends le moment ; et la circonstance qui les avait fait adopter se rapportait d’une manière bien remarquable avec l’objet de ses méditations actuelles.

On disait, d’après une tradition constante, qu’un certain Malisius de Ravenswood avait, au treizième siècle, été dépouillé de son château et de ses domaines par un usurpateur puissant, qui avait joui pendant quelque temps du fruit de ses rapines. Enfin, un jour qu’un splendide banquet devait avoir lieu, Ravenswood, qui avait épié l’occasion, s’introduisit dans le château avec une troupe d’amis fidèles. Les convives étaient impatients de voir servir le banquet, et le maître temporaire du château le demandait à grands cris. Ravenswood, qui, dans cette occasion, s’était déguisé sous le costume d’un écuyer tranchant, répondit, en le regardant d’un air sévère : « J’attends le moment, » et au même instant une tête de taureau, ancien symbole de la mort, fut posée sur la table. Au signal donné, la conspiration éclata, et l’usurpateur et ses adhérents furent mis à mort. Il y avait peut-être dans cette histoire, encore connue et souvent rapportée, quelque chose qui parlait directement à l’âme et à la conscience du lord garde des sceaux ; car, mettant de côté le papier sur lequel il avait commencé son rapport, et serrant soigneusement les notes qu’il avait prises, il les renferma sous clef dans une armoire placée près de lui, et se prépara à sortir, comme dans le dessein de recueillir ses idées et de réfléchir plus mûrement sur les conséquences de la démarche qu’il allait faire, avant qu’elles devinssent inévitables.

En traversant une grande antichambre gothique, sir William Ashton entendit le son du luth de sa fille. La musique, lorsque ceux qui l’exécutent sont cachés, nous cause un plaisir mêlé de surprise, et nous rappelle le concert naturel des oiseaux cachés sous le feuillage d’un bosquet. L’homme d’état, quoique peu accoutumé à ouvrir son âme à de douces émotions, était cependant homme et père. Il s’arrêta donc et écouta les sons argentins de la voix de Lucy Ashton qui chanta, en s’accompagnant de son luth, un ancien air sur lequel on avait composé le couplet suivant :

« De la beauté n’observe point les charmes ;
Laisse les rois prendre sans loi les armes ;