Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/377

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Allan descendit à l’extrémité de la salle, et ayant soumis, à l’aide de sa lampe, Anderson et son compagnon au même examen, il s’arrêta un moment comme plongé dans une profonde réflexion ; puis, se frappant le front, il saisit tout-à-coup Anderson par le bras, et avant qu’il pût lui opposer aucune résistance, il le traîna plutôt qu’il ne le conduisit à la place vacante au haut bout de la table, lui fit signe de s’y asseoir, en poussant le soldat avec la même violence impolie vers l’extrémité de la table.

Le capitaine, furieux au dernier point de cette liberté, essaya de se débarrasser d’Allan par la force : mais, tout vigoureux qu’il était, il se trouva moins fort que le gigantesque montagnard, qui le repoussa avec une telle violence, qu’après avoir chancelé quelques pas, le capitaine tomba tout de son long sur le carreau, et fit retentir les voûtes de la salle du bruit de son armure. Lorsqu’il se releva, son premier mouvement fut de tirer son épée et de courir sur Allan, qui, les bras croisés, semblait attendre son adversaire avec une indifférence méprisante. Lord Menteith et ses domestiques s’interposèrent pour rétablir la paix, tandis que les Highlanders, détachant les armes suspendues à la muraille, semblaient disposés à continuer la lutte.

« Il est fou, » lui dit à voix basse lord Menteith, « Il est entièrement fou, il n’a aucune envie de vous chercher querelle. — Si vous m’assurez qu’il est non compos mentis, répliqua le capitaine Dalgetty, ce que du reste son éducation et sa conduite semblent indiquer, la chose en restera là ; car un homme fou ne peut ni faire un affront ni donner une satisfaction honorable. Mais, sur mon âme, si j’avais fait un bon repas et que j’eusse eu une bouteille de vin du Rhin dans la tête, je me serais autrement conduit à son égard. Vraiment, il est malheureux qu’il soit faible d’esprit ; car il paraît être assez fort de corps pour manier la pique, le morgenstern[1] ou toute autre arme que ce soit. »

La paix étant rétablie, les convives reprirent d’eux-mêmes les places qui leur avaient été primitivement destinées, sans qu’Allan,

  1. C’était une sorte de masse ou massue qu’on employait au commencement du seizième siècle pour défendre les brèches et les remparts. Lorsque les Allemands insultèrent un régiment écossais assiégé dans Stratsund, en annonçant qu’ils avaient entendu dire qu’il leur arrivait un vaisseau de Danemark chargé de pipes à fumer, « un de nos soldats, dit le colonel Robert Monroe, leur montrant, par dessus les ouvrages de la place, une morgenstern faite d’un énorme bâton garni de fer, comme le manche d’une hallebarde, avec une boule à l’extrémité, armée de pointes de fer, leur cria : Voici une des pipes à fumer avec lesquelles nous vous briserons la tête quand vous nous donnerez l’assaut. » a. m.