Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/363

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour un ritt-master, et encore l’invincible Gustave ne payait jamais plus d’un tiers de cette somme ; et ce tiers nous était distribué chaque mois par forme de prêt, quoique, à bien considérer, ce fût véritablement un emprunt que ce grand monarque faisait à ses soldats, des deux tiers additionnels qui leur étaient justement dus. Et j’ai vu des régiments entiers de la Hollande et du Holstein se révolter sur le champ de bataille comme de vils mercenaires, en criant gelt ! gelt ! Par ces mots ils demandaient leur paie, au lieu d’en venir aux mains comme nos bonnes lames écossaises, qui ont toujours dédaigné, milord, de préférer à l’honneur un vil gain. — Mais ces arriérés n’étaient-ils pas payés au soldat à des époques fixes ? — Milord, je jure sur ma conscience qu’à aucune époque et par aucun moyen possible on ne pouvait recouvrer seulement un creutzer. Et moi-même, je ne me vis jamais possesseur de vingt dollars, à moi appartenant, tout le temps que je servis sous l’invincible Gustave, à moins que ce ne fût par la chance d’un assaut ou d’une victoire, ou par une imposition sur une ville ou sur un bourg ; et c’est alors qu’un cavalier de fortune, qui connaît les usages de la guerre, manque rarement de faire quelques petits profits. — Je commence à m’étonner beaucoup plus, monsieur, que vous ayez continué si longtemps à servir la Suède, que de ce que vous vous soyez décidé à la quitter. — Je n’aurais jamais quitté son service, répondit le ritt-master ; car ce grand roi, notre chef, notre général, le lion du Nord, le boulevard de la foi protestante, avait une manière de gagner les batailles, de prendre les villes ; de soumettre les pays et de lever des contributions, qui donnait à son service un charme irrésistible pour les cavaliers bien élevés qui suivent la carrière des armes. Tel que vous me voyez ici, milord, j’ai commandé tout l’évêché de Dunklespiel, sur le Bas-Rhin, occupant le palais du Palatin, buvant ses vins fins avec mes camarades, ordonnant des contributions, des réquisitions, des impositions, et n’oubliant pas de lécher mes doigts après les avoir trempés dans la sauce, comme doit le faire tout bon cuisinier. Mais toute cette gloire déchut bien vite, lorsque le grand capitaine eut reçu trois balles à la bataille de Lutzen ; c’est pourquoi, trouvant que la fortune avait changé de côté, que les prêts et les emprunts devaient, comme auparavant, se faire sur notre paie, et qu’on n’avait plus ni contributions ni casuel, je rendis ma commission et je pris du service sous Wallenstein, dans le régiment