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pays s’y était rendue en grand deuil ; les Cavaliers, modérant les pas de leurs chevaux, avançaient avec la solennité convenable à la circonstance. Des trompettes couvertes de crêpe noir faisaient entendre leurs sons lents et lugubres pour régler la marche du cortège. Une foule immense d’habitants de la classe inférieure et une suite de serviteurs formaient l’arrière-garde, qui n’était pas encore sortie des portes de la tour, lorsque ceux qui étaient à la tête arrivèrent à la chapelle où le corps devait être déposé.

Contre l’usage, et même contre la disposition de la loi à cette époque, le corps fut reçu par un prêtre de la communion anglicane, revêtu de son surplis, et prêt à réciter l’office des morts suivant le rit de son église. Lord Ravenswood en avait exprimé le désir dans sa dernière maladie, et les torys, ou les cavaliers, comme ils affectaient de s’appeler, faction dont la plupart de ses alliés faisaient partie, s’étaient volontiers conformés à ce désir. La cour de l’official de l’église presbytérienne, regardant cette cérémonie comme une insulte à son autorité, avait obtenu du lord garde des sceaux l’ordre de la défendre : en sorte que, lorsque l’ecclésiastique eut ouvert son livre, un officier de justice, soutenu de quelques hommes armés, lui imposa silence au nom de la loi. Cette injure enflamma d’indignation toute l’assemblée, mais surtout le fils unique du défunt, Edgard, que l’on nommait communément le Maître[1] de Ravenswood, jeune homme âgé d’environ vingt ans. Il porta la main à son épée ; il avertit l’officier de ne pas s’exposer au danger d’une seconde interruption, et commanda au prêtre de remplir ses fonctions. L’officier voulut employer la force pour se faire obéir ; mais comme une centaine d’épées brillèrent tout à coup à ses yeux, il se contenta de protester contre la violence qui lui était faite dans l’exercice de ses fonctions, et se tint à l’écart, sombre et farouche spectateur de la cérémonie. Ses murmures comprimés semblaient dire : « Vous maudirez le jour où vous m’avez ainsi interrompu dans mes fonctions. »

La scène était digne du pinceau d’un artiste. Sous les voûtes mêmes du palais de la mort, le prêtre, effrayé de la scène qui venait d’avoir lieu, et tremblant pour sa propre sûreté, récitait à la hâte et à contre-cœur les prières solennelles de l’Église, disant à l’orgueil abattu, à la postérité déchue : « Tout n’est que cendre, tout n’est que poussière. » Autour de lui étaient rangés les parents

  1. Titre du fils aîné d’un baron ou vicomte. a. m.