Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/318

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répondit sa commère. — Mais dites-moi, Ailsie Gourlay, demanda l’autre vieille, vous qui êtes la plus âgée de nous trois, avez-vous jamais vu une plus belle noce ? — Je ne dirai pas que j’en aie vue une plus belle, répondit la sorcière ; mais je m’attends à voir bientôt un enterrement tout aussi beau. — Et cela me ferait tout autant de plaisir, dit Anne Winnie ; car il s’y fait une distribution aussi grande, et on n’est pas obligé de rire et de grimacer, et de se tordre la bouche, et d’adresser des félicitations à ces maudites gens de qualité, qui nous méprisent comme si nous étions des bêtes brutes. J’aime à envelopper dans mon tablier la distribution que l’on fait aux funérailles, et à fredonner mon vieux refrain :

Mon pain sur mes genoux, mon penny dans ma bourse,
Tu n’en es pas plus mal, j’en ai plus de ressource.

— Tu as raison, Annie, dit la paralytique : que Dieu nous envoie une Christmass[1] verte et un cimetière bien gras ! — Mais je voudrais savoir, Lucky Gourlay, demanda l’autre vieille, car vous êtes la plus ancienne et la plus savante de nous, quelle est, dans toute cette compagnie joyeuse, la personne qui doit mourir la première.

— Voyez-vous là-bas cette charmante jeune fille, toute brillante d’or et de joyaux, que l’on aide à monter sur le cheval blanc, derrière ce jeune étourdi qui porte un habit écarlate et une longue épée ? — Grand Dieu ! c’est la mariée, » dit sa commère dont le cœur froid éprouva un léger accès de compassion : « la mariée elle-même ! Eh quoi ! si jeune, si brillante et si gentille ! son temps est-il donc si proche ? — Je vous dis que le linceul qui doit l’envelopper lui monte déjà jusqu’au cou. Il ne reste plus que quelques grains de poussière dans son sablier ; et ce n’est pas étonnant, car il a été bien secoué. Les feuilles se fanent rapidement sur les arbres ; mais elle ne verra pas le vent de la Saint-Martin les faire danser en tourbillons comme des fées. — Vous l’avez soignée pendant trois mois, dit la vieille paralytique, et pour cela vous avez reçu deux pièces d’or, ou je suis bien trompée. — Oui, oui, » répondit Ailsie en faisant une horrible grimace, « et sir William Ashton m’a promis, de plus, une belle chemise rouge, un poteau, une chaîne, et le tonneau goudronné, ma chère enfant : eh ! que pensez-vous d’une telle gratification pour m’être levée de bonne heure et couchée tard, pendant quatre-vingts jours, auprès de sa fille mourante ? Mais il peut garder ces jolies choses pour sa femme, commères. — J’ai entendu dire tout bas, reprit

  1. Fête de Noël, qui est pour les Anglais ce qu’est pour nous le nouvel an. a. m.