Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/297

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comme celle de Caliban[1]. Néanmoins elle disait la bonne aventure, expliquait les songes, composait les philtres, découvrait les objets volés, faisait et rompait les mariages, avec autant de succès que si, comme on le croyait dans tout le voisinage, elle eût été assistée dans ses opérations par Belzébuth lui-même. Le plus grand mal que faisaient ces prétendues adeptes dans les sciences occultes, c’était que, se voyant l’objet de la haine publique, beaucoup d’entre eux s’inquiétaient fort peu si leurs actes la justifiaient ou non. Et si, sous un rapport, on éprouve une horreur involontaire lorsque la lecture des registres des tribunaux criminels nous révèle tant de crimes judiciaires, commis sous prétexte que l’accusé est un sorcier, on se trouve en quelque sorte soulagé en acquérant la preuve que la plupart d’entre eux avaient mérité, comme empoisonneurs, suborneurs, et complices diaboliques d’un grand nombre de crimes secrets, le châtiment qui leur avait été infligé comme coupables de sorcellerie.

Telle était Ailsie Gourlay, que lady Ashton jugea à propos de placer près de sa fille pour achever de subjuguer son esprit. Une femme d’une condition moins élevée n’aurait osé faire un tel choix ; mais son rang la mettait au-dessus de toute censure, et la hauteur de son caractère la lui faisait braver. On s’accorda à dire qu’elle avait choisi pour sa fille la garde-malade la meilleure, la plus expérimentée et la plus instruite qui fût dans tout le voisinage, tandis qu’une personne d’une classe inférieure aurait essuyé le reproche d’avoir eu recours à l’assistance d’une associée et d’une alliée du grand ennemi du genre humain.

La vieille sorcière reconnut d’un coup d’œil, et pour ainsi dire par intuition, le rôle qu’elle avait à jouer ; lady Ashton n’eut pas besoin d’entrer avec elle dans une longue explication. Elle possédait à un degré peu ordinaire le jugement nécessaire pour remplir la tâche qui lui était imposée, et dans laquelle elle eût échoué si elle n’eût eu quelque connaissance du cœur humain et des passions qui l’agitent. Elle s’aperçut bientôt que Lucy frémissait à son aspect, et, dès ce moment, elle conçut une haine mortelle contre la pauvre fille qui n’avait pu la voir sans une horreur involontaire ; elle crut donc devoir commencer ses opérations en s’efforçant d’effacer, ou du moins de surmonter des préventions qu’elle regardait comme une offense impardonnable.

Cette tâche ne lui fut pas difficile ; car la laideur extrême de la

  1. Personnage dans la Tempête, de Shakspeare. a. m.