Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/295

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celui d’évoquer des spectres qui faisaient trembler l’exorciste elle-même. Elle sentait qu’elle était l’objet du soupçon, du mépris, de l’aversion du moins, sinon de la haine de sa famille, et il lui semblait qu’elle était abandonnée par celui-là même pour l’amour duquel elle était en butte à l’inimitié de toutes les personnes qui l’entouraient. En effet, l’infidélité de Ravenswood semblait devenir chaque jour plus évidente.

Un officier de fortune, nommé Westenho, ancien camarade de Craigengelt, était arrivé par hasard du continent à peu près à cette époque. Le digne capitaine, quoique sans agir précisément de concert avec lady Ashton, qui avait trop de fierté et de finesse pour immiscer un ami de Bucklaw dans tous ses secrets, ne négligeait rien pour favoriser ses manœuvres, exagérant les circonstances réelles et en ajoutant d’autres de pure invention : il engagea son ami à attester formellement la vérité du prochain mariage de Ravenswood.

Assiégée de toutes parts, presque réduite au désespoir, Lucy laissa fléchir son caractère sous le poids des souffrances et des persécutions continuelles. Elle devint sombre, distraite, et si différente d’elle-même, que, contre son naturel et ses habitudes, elle répondait avec courage, et même avec une sorte de fureur, à ceux qui l’obsédaient avec tant d’opiniâtreté et de tyrannie. Sa santé commença aussi à s’altérer ; ses joues maigres et d’un rouge terne, l’espèce d’égarement de ses yeux, furent autant de symptômes qui indiquaient qu’elle était attaquée de ce qu’on appelle une fièvre nerveuse. La plupart des mères auraient été touchées de cet état ; mais lady Ashton, inébranlable dans ses projets, voyait la raison et la santé de sa fille s’affaiblir sans éprouver plus de compassion qu’un ingénieur qui voit les tours d’une ville assiégée ébranlées par le feu de son artillerie ; ou plutôt, elle trouvait dans ces écarts, dans ces inégalités de caractère, une preuve que la constance de sa fille était au moment d’expirer : tel le pêcheur juge, par les bonds et les mouvements convulsifs du poisson qui lutte de plus en plus faiblement contre le harpon dont il l’a percé, qu’il pourra bientôt le tirer à terre.

Pour accélérer la catastrophe, lady Ashton eut recours à un expédient entièrement d’accord avec le caractère et la crédulité de cette époque, mais que, sans aucun doute, le lecteur déclarera véritablement diabolique.