Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/294

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Le jeune Henri lui-même devint un instrument dont on se servit pour ajouter aux tourments de sa sœur. Un matin, il accourut dans sa chambre, une branche de saule pleureur à la main[1], disant qu’elle avait été tout exprès envoyée d’Allemagne pour qu’elle la portât. Lucy, comme nous l’avons déjà vu, avait une affection toute particulière pour son jeune frère, et en ce moment, un acte de méchanceté de sa part, fait par étourderie et irréflexion, lui parut plus cruel et plus injurieux que les insultes étudiées de son frère aîné. Elle ne lui montra cependant aucune espèce de ressentiment. « Pauvre Henri, » dit-elle d’une voix faible et en jetant ses bras autour du cou de son frère, « tu ne fais que répéter ce que l’on t’a appris ! » Et en même temps elle versa un torrent de larmes.

« Lucy, lui répondit-il, je vous promets de ne plus me charger de ces maudits messages ; car je vous aime plus vous seule qu’eux tous ensemble, » ajouta-t-il en la couvrant de baisers pour tarir ses larmes ; et lorsque vous voudrez vous promener, je vous prêterai mon petit cheval ; vous le ferez galoper, si bon vous semble ; vous pourrez même sortir du village, si l’envie vous en prend. — Qui vous a dit qu’il ne me soit pas permis d’aller me promener où je voudrai ? — Oh ! c’est un secret ; mais si vous essayiez d’en sortir, vous verriez que votre cheval se déferrerait, ou qu’il deviendrait boiteux, ou que la cloche du château sonnerait pour vous rappeler ; en un mot que vous seriez forcée de revenir. Mais si je vous dis tout cela, Douglas ne me donnera pas la belle écharpe qu’il m’a promise. Ainsi, bonjour ! »

Ce dialogue plongea Lucy dans un accablement plus profond encore ; car il lui prouvait clairement ce qu’elle soupçonnait déjà depuis long-temps, qu’elle était prisonnière, quoique libre[2], dans la maison de son père. Nous l’avons représentée au commencement de notre histoire comme ayant un caractère romanesque, aimant les contes où l’amour se mêle aux aventures merveilleuses, et s’identifiant volontiers avec des héroïnes de roman, dont, faute d’autre lecture, elle avait meublé sa mémoire. La baguette de fée, dont elle avait pris plaisir à armer sa main dans la solitude, pour se procurer des visions enchanteresses, était devenue celle d’un magicien esclave de mauvais génies, n’ayant d’autre pouvoir que

  1. En Écosse, quand un homme n’épouse pas la personne à laquelle il a fait la cour, on dit qu’elle porte un saule-pleureur, the willow. a. m.
  2. Prisonner at large, dit le texte, pour indiquer une personne surveillée sans qu’elle s’en doute. Il existe en anglais une comédie de ce titre. a. m.