Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/293

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enracinées pour avoir besoin de ce nouvel aliment. Elle brûlait ces lettres après en avoir pris lecture ; et elle les regardait se réduire en cendres, s’évaporer en fumée, avec un sourire dédaigneux et un air de triomphe qui exprimaient la certitude que les espérances de ceux qui les avaient écrites seraient bientôt aussi complètement détruites.

Il n’est pas rare de voir la fortune favoriser les combinaisons des gens qui savent mettre à profit toutes les chances que leur présente le hasard. Un bruit fondé, comme tant d’autres de la même espèce, sur plusieurs circonstances plausibles, mais qui ne reposait sur aucune base solide, circula dans le pays : on disait que le Maître de Ravenswood était à la veille d’épouser sur le continent une jeune demoiselle d’une grande fortune et de haut rang. Cette nouvelle fut avidement accueillie ; car deux partis qui se disputent le pouvoir et la faveur populaire, s’emparent toujours avec avidité de tous les détails de la vie privée de leurs adversaires, pour en faire des sujets de discussion politique.

Le marquis d’Athol en parla publiquement, non, à la vérité, dans les termes grossiers que le capitaine Craigengelt lui avait attribués, mais d’une manière assez offensante pour les Ashton. « Il croyait, dit-il, la nouvelle très-probable, et il souhaitait de bon cœur qu’elle fût vraie. Un tel parti convenait beaucoup mieux et faisait beaucoup plus d’honneur à un jeune homme plein de talents et d’espérances, qu’un mariage avec la fille d’un vieux légiste whig qui avait ruiné son père. »

L’autre partie, de son côté, oubliant le refus que le Maître de Ravenswood avait essuyé de la part de la famille de miss Ashton, criait à l’infamie, et lui reprochait son inconstance et sa perfidie, comme si, après avoir séduit cette jeune personne et lui avoir fait contracter un engagement, il l’abandonnait lâchement et sans motif.

Lady Ashton eut grand soin que cette nouvelle parvînt jusqu’au château de Ravenswood par un grand nombre de canaux divers, sachant fort bien que la répétition du même bruit par un grand nombre de bouches ne pourrait que lui donner une forte apparence de vérité. Les uns en parlèrent comme d’un bruit courant, les autres comme d’une chose très-positive ; tantôt on la débitait tout bas à l’oreille de Lucy Ashton, sur le ton de la plaisanterie ; tantôt on lui en parlait comme d’un sujet qui devait la porter à faire de sérieuses réflexions.