Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/292

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parents. Mais il n’était pas en son pouvoir de résister complètement ou d’échapper aux persécutions constantes de l’infatigable lady Ashton, qui, uniquement occupée de son projet, réunissait toutes les forces et toute l’énergie de son âme pour rompre l’engagement de sa fille avec Ravenswood, et élever entre eux une barrière insurmontable en unissant Lucy à Bucklaw. Plus profondément versée que son mari dans l’art de sonder les replis du cœur humain, elle savait que par-là sa vengeance porterait un coup décisif à celui qu’elle regardait comme son ennemi mortel, et elle n’hésita pas à lever le bras pour le frapper, quoiqu’elle n’ignorât pas que le trait n’irait l’atteindre qu’en passant par le cœur de sa fille. Dans ce dessein cruel, mais inébranlable, elle fouilla impitoyablement les replis les plus secrets de l’âme de Lucy, employa toutes les ruses, prit tour à tour les divers déguisements qui pouvaient favoriser ses desseins, et prépara à loisir toutes les manœuvres propres à forcer l’esprit d’une personne sur laquelle on exerce un pouvoir sans contrôle à prendre une résolution à laquelle on tient fortement soi-même. Quelques-unes de ces manœuvres n’avaient rien que de très-simple, et il nous suffira d’en dire peu de mots ; d’autres étaient caractéristiques du temps et du pays où se passe l’action de ce drame singulier, et des personnages qui y figurent.

Il était de la plus haute importance pour lady Ashton que toute correspondance entre les deux amants fût interrompue ; et, soit par l’appât de l’or, soit par l’autorité qu’elle exerçait sur tous les gens de sa maison, elle réussit à mettre si bien dans ses intérêts ceux dont elle entoura sa fille, que jamais forteresse assiégée ne fut plus étroitement bloquée, quoique miss Ashton parût jouir de la liberté la plus entière. Le château de son père fut pour elle comme entouré d’un cercle magique et invisible, dans lequel rien ne pouvait entrer et duquel rien ne pouvait sortir sans la permission de la fée qui l’avait tracé. Ainsi toutes les lettres par lesquelles Ravenswood faisait connaître à Lucy Ashton les motifs indispensables qui le retenaient sur le continent, toutes celles que la pauvre Lucy lui avait adressées par des voies qu’elle croyait sûres, étaient tombées entre les mains de sa mère. Il était impossible que ces lettres interceptées, et surtout celles de Ravenswood, ne continssent pas quelques expressions propres à irriter les passions et à augmenter l’obstination de celle dans les mains de qui elles s’arrêtaient ; mais les passions de lady Ashton étaient trop