Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/29

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expriment ces sentiments, mon cher Tinto, » dis-je en l’interrompant, « votre pinceau rivalise avec l’art dramatique de M. Puff, qui, dans le Critique[1], devine toute une phrase compliquée par un seul mouvement de tête de lord Burleigh. — Mon bon ami Pierre, » répliqua Tinto, « je m’aperçois que vous êtes absolument incorrigible ; néanmoins j’ai pitié de votre défaut de pénétration, et je serais fâché de vous priver du plaisir de comprendre mon tableau et d’acquérir en même temps un sujet pour exercer votre plume. Sachez donc que l’été dernier, prenant des esquisses sur les côtes de l’East-Lothian et du comte de Bervick, informé qu’il existait quelques restes d’antiquités dans les montagnes de Lammermoor, je me laissai persuader d’aller visiter ce district. Celles qui me frappèrent le plus furent les ruines d’un antique château, dans lequel se trouvait jadis la chambre d’Élisabeth, comme vous l’appelez. Je demeurai pendant deux ou trois jours dans une ferme du voisinage, chez une vieille bonne femme qui connaissait parfaitement l’histoire du château et les événements qui s’y étaient passés. Un de ces événements était si intéressant et si singulier, que mon attention fut partagée entre le désir de dessiner les vieilles ruines, dans un tableau de paysage, et celui de reproduire, dans un tableau d’histoire, les récits que l’on m’avait faits. Voici mes notes sur cette histoire, » ajouta le pauvre Dick, en me donnant un paquet de papiers, barbouillés les uns avec un crayon, les autres avec une plume, et sur lesquels des croquis de caricatures, des esquisses de tourelles, de moulins, de vieux pignons et de bergeries, usurpaient la place réservée aux remarques écrites.

Je me mis cependant à déchiffrer du mieux que je pus la substance du manuscrit, et à lui donner la forme de l’histoire qu’on va lire. Pour suivre en partie, et non entièrement, l’avis de mon ami Tinto, j’ai tâché de rendre mon récit plutôt descriptif que dramatique. Toutefois, mon penchant favori m’a quelquefois entraîné, et mes personnages, comme bien d’autres dans ce monde bavard, parlent de temps en temps beaucoup plus qu’ils n’agissent.

  1. Pièce dramatique de Shéridan. a. m.