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vous avez bien raison, » dit tristement Lucy, en serrant la main de son frère après lui avoir donné le fil d’argent dont il avait besoin. « Mais il y a dans le monde d’autres oiseaux de proie que votre faucon, et bien plus encore d’oiseaux blessés qui ne cherchent qu’à mourir en repos, et qui ne peuvent trouver ni bruyère ni buisson pour y cacher leur tête. — Ah ! voilà une phrase que vous avez prise dans vos romans, dit l’enfant ; et Sholto assure qu’ils vous ont tourné la tête. Mais j’entends Norman qui siffle le faucon ; il faut que j’aille lui attacher les sonnettes. »

Et il s’échappa avec la joyeuse insouciance de son âge, laissant sa sœur en proie à l’amertume de ses réflexions.

« Il est donc écrit dans le livre du destin, dit-elle, que je dois être abandonnée par tout ce qui respire, même par ceux qui doivent me chérir le plus ! Je reste entièrement livrée à ceux qui m’obsèdent. Il est juste que cela soit ainsi ; seule et sans conseil, je me suis précipitée dans le danger ; seule et sans conseil, je dois m’en tirer, ou mourir. »






CHAPITRE XXX.

intrigues de lady ashton.


Que s’ensuit-il ? une sombre et triste mélancolie, voisine de l’affreux et cruel désespoir, et traînant à sa suite l’épouvantable cortège de tous les maux qui affligent l’humanité.
Shakspeare, Les Méprises.


Pour justifier la facilité avec laquelle Bucklaw, qui d’ailleurs était réellement, comme il le disait lui-même, un jeune homme franc et loyal, laissait égarer son jugement par les manœuvres de lady Ashton, tandis qu’il faisait la cour à sa fille, il faut que le lecteur se rappelle le régime intérieur auquel les femmes étaient soumises, à cette époque, dans les familles écossaises.

Les mœurs de ce pays, sous ce rapport comme sous plusieurs autres, coïncidaient avec celles de la France avant la révolution. Les jeunes personnes des hautes classes de la société se montraient rarement dans le monde avant d’être mariées ; et, par les lois comme par le fait, elle se trouvaient sous la dépendance la plus complète de leurs parents, qui, lorsqu’il s’agissait de leur établissement, n’étaient que trop portés à consulter leurs propres vues, plutôt que l’inclination des parties principalement intéressées. En pareilles circonstances, le futur époux n’attendait guère de sa