Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/288

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course entre la jument noire du laird de Kittlegirth et le cheval bai de quatre ans de Johnston, le marchand de farine. Au reste, je puis, en courant toute la nuit, venir savoir où en seront alors les affaires, et, au pis aller, vous envoyer Craigengelt. J’espère donc que comme, pendant ce laps de temps, je ne fatiguerai pas miss Ashton par mon importunité, vous voudrez bien, vous madame, sir William Ashton, et le colonel Douglas, lui laisser la tranquillité nécessaire pour prendre un parti. — Vous êtes généreux, monsieur, dit Lucy. — Généreux, dites-vous ? Nullement. Je vous l’ai déjà dit, je ne suis qu’un jeune homme tout uni, franc et loyal, qui est disposé à vous rendre heureuse, si vous voulez le lui permettre et lui indiquer ce qu’il doit faire pour y réussir. »

À ces mots, il la salua avec plus d’émotion qu’on ne devait en attendre d’un homme de ce caractère, et prit congé des deux dames. Lady Ashton le suivit hors de l’appartement, en l’assurant que sa fille rendait pleine justice à la sincérité de son attachement, et l’engagea à voir sir William avant son départ, « puisque, » dit-elle en se retournant vers Lucy, « il faut que nous soyons tous prêts, le jour de Saint Jude, à signer et sceller cette heureuse alliance. — Cette heureuse alliance ! » répéta Lucy d’une voix à peine articulée lorsque la porte de l’appartement fut fermée ; « dites plutôt signer et sceller mon arrêt de mort ! « Et joignant ses mains amaigries, elle se laissa tomber sur son fauteuil, dans un état complet d’abattement.

Elle en fut bientôt tirée par l’entrée bruyante de son frère Henri, qui vint lui rappeler la promesse qu’elle lui avait faite de lui donner deux aunes de ruban écarlate pour se faire des nœuds de jarretières. Lucy se leva avec le calme de la résignation, ouvrit une petite boîte d’ivoire, y chercha le ruban que son frère désirait, le mesura exactement, et lui fit les deux nœuds de jarretières, tels qu’il les demandait.

« Ne fermez pas si vite votre boîte, dit Henri ; il faut que vous me donniez un peu de votre fil d’argent pour attacher les sonnettes aux pattes de mon faucon. Pourtant il ne le mérite guère ; car, malgré toutes les peines que je me suis données pour le dénicher et le dresser, il ne sera jamais qu’un mauvais chasseur : il se contente de prendre la perdrix dans ses serres ; après quoi il la lâche, et la laissé s’échapper. Or, que peut faire après cela le pauvre oiseau, sinon languir et mourir sur la bruyère, ou sous le premier buisson qu’il rencontrera ? — Vous avez raison, Henri,