Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/28

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« Sur mon honneur, » s’écria Dick, « je jurerais que vous êtes aveugle-né, puisque vous n’avez pu, au premier coup d’œil, deviner le sujet et le sens de cette esquisse. Je ne prétends pas faire l’éloge de mon propre ouvrage ; je laisse ces artifices à d’autres ; je connais mes défauts ; je sais que mon dessin et mon coloris sont susceptibles d’être perfectionnés avec le temps que je me propose de consacrer à mon art : mais la conception, l’expression, les poses, tout cela raconte l’histoire à quiconque jette un regard sur mon esquisse ; et si je puis terminer mon tableau, sans diminuer le mérite de la conception originale, le nom de Tinto ne sera plus exposé aux atteintes de l’envie et de l’intrigue. »

Je lui répondis que j’admirais extrêmement son esquisse, mais que, pour bien l’apprécier, je sentais qu’il était absolument nécessaire que je fusse initié dans le sujet.

« C’est justement ce dont je me plains, » répondit Tinto. « Vous vous êtes tellement habitué à vos ennuyeux et obscurs détails, que vous êtes devenu incapable de recevoir cet éclair vif et instantané de conviction qui frappe l’esprit, en voyant les heureuses et expressives combinaisons d’une scène unique, et qui, d’après l’attitude, la position et la contenance du moment, non seulement devine l’histoire de la vie passée des personnages représentés, et la nature de l’affaire qui les occupe immédiatement, mais encore soulève le voile de l’avenir et vous fait adroitement conjecturer le sort qui les attend. — En ce cas, » repris-je, « la peinture l’emporte sur le singe du fameux Ginès de Passamont, qui ne se mêlait que du passé et du présent ; que dis-je ! elle l’emporte même sur la nature qui lui fournit des sujets ; car je vous proteste, Dick, que s’il m’était permis de pénétrer dans cette chambre d’Élisabeth, et de voir les personnes que vous avez dessinées conversant en chair et en os, je ne serais pas plus en état de deviner le sujet qui les occupe. Seulement, d’après l’ensemble de la composition, le regard languissant de la jeune dame, et le soin que vous avez pris de donner une jolie jambe au cavalier, je me hasarderai à soupçonner qu’il y a entre eux quelque affaire d’amour. — Et vous hasardez-vous réellement à former une conjecture aussi téméraire ? » dit Tinto. « Et cet air d’indignation avec lequel le jeune homme cherche à obtenir un consentement… le désespoir timide de la jeune dame… l’air inflexible de la dame plus âgée, qui laisse voir dans ses yeux qu’elle sent son tort, mais qu’elle y persiste… — Si ses regards