Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/267

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secret — Fi donc ! milord : c’est bien assez qu’un vieux comme moi dise des mensonges pour l’honneur de la famille ; il ne conviendrait pas que Votre Honneur s’en mêlât. D’ailleurs les jeunes gens ne sont pas judicieux ; ils ne savent pas arranger un mensonge. Maintenant cet incendie, car ce sera un incendie, dussé-je brûler la vieille écurie pour le rendre plus croyable ; cet incendie, dis-je, outre qu’il me servira de prétexte pour demander ce dont nous aurons besoin, soit dans le pays, soit au port, remettra les choses sur un pied honorable pour le crédit de la famille, dans l’intérêt duquel il me fallait dire vingt mensonges par jour à des fainéants et à de vieilles sorcières, et ce qu’il y a de pis, sans qu’on y ajoutât la moindre foi. — C’était bien dur, en effet, Caleb, dit Ravenswood, mais je ne vois pas comment cet incendie peut venir au secours de votre véracité et votre crédit. — J’avais bien raison de dire que les jeunes gens ne sont pas judicieux ! Comment cet incendie viendra à mon secours, dites-vous ? Il sauvera le crédit de la famille pendant vingt ans encore, si on sait en tirer parti. « Où sont les portraits de famille ? demandera un de ces gens qui se mêlent de tout. — Le grand incendie de Wolf’s-Crag les a détruits, » répondrai-je. « Où est l’argenterie de la famille ? dira un autre. — Et le grand incendie, répliquerai-je ; a-t-on songé à l’argenterie lorsque l’on court le risque d’être estropié ou de perdre la vie ! » « Où sont les vêtements et le linge, les tapisseries et les décors, les lits de parade, les rideaux, les valences et les ciels de lit, le linge de table et le damassé ? — L’incendie, l’incendie, toujours l’incendie. » Ménagez votre incendie comme il faut, il vous servira pour ce que vous avez et pour ce que vous n’avez pas. Une si bonne excuse vaut mieux, en quelque façon, que la chose elle-même ; car cette chose se déchire, s’use et se consume à la longue, tandis qu’une telle excuse, employée avec prudence et avec les convenances nécessaires, peut tourner à l’avantage d’une famille, Dieu sait pour combien de temps. »

Ravenswood connaissait trop bien l’opiniâtreté et l’amour-propre de son sommelier, pour argumenter plus long-temps sur ce point. Laissant donc Caleb jouir du triomphe qu’il venait d’obtenir, il retourna au hameau, où il trouva le marquis et les bonnes femmes de la maison un peu inquiets, l’un à cause de son absence et les autres parce qu’elles craignaient que le retard du souper ne tournât au désavantage de leur cuisine. Tout le monde fut alors tranquillisé, et on apprit avec plaisir que le feu s’était